mardi 1 octobre 2013

Le libéralisme brade-t-il ses valeurs?


 
Le libéralisme est aujourd'hui confronté au pourrissement de la démocratie, qui n'est plus qu'une succession de compromissions entre des groupements d'intérêts aux ambitions contradictoires, et qui vendent leurs votes pour des intérêts de castes, sans se soucier des intérêts individuels, dont seule la somme constitue l'intérêt général. Des fonctionnaires voteront pour ceux qui leur promettent plus de privilèges et encore moins de travail, des commerçants voteront pour ceux qui leur font miroiter moins d'impôts et plus de policiers, les chômeurs voteront pour ceux qui s'engagent à augmenter leurs indemnités en diminuant les exigences, et ceux qui ont la chance de travailler voteront pour ceux qui prétendent augmenter leur salaire "net" en imposant la charge des avantages sociaux aux entrepreneurs.

Faute d'une refondation totale du fonctionnement de la démocratie, par exemple en responsabilisant les citoyens, ou en liant le financement des partis aux revenus de leurs adhérents (et non aux nombres de votes), le libéralisme doit choisir entre deux voies radicalement différentes. Soit il devient accommodant, complice, naïf. Soit au contraire il reste ferme sur ses principes, s'oppose à toute compromission, et demeure résolument critique à l'égard de toute enfreinte à ses principes, aussi minime soit-elle.

L'attitude à adopter face à la propriété est une parfaite illustration. Pour les authentiques libéraux, la propriété individuelle est la base même du fonctionnement de la communauté, et de la possibilité d'accroître le bien-être de tous. Sans respect du droit de propriété, il ne peut y avoir de liberté. En effet, si Paul peut s'emparer de la propriété de Pierre, ou le contraindre à la partager, il n'y a aucune liberté possible pour Pierre. Ni pour Paul d'ailleurs, puisque Pierre pourrait parfaitement agir envers lui comme il a agi lui-même. Et ceci reste vrai même si Pierre et Paul ont "voté" pour un chef qui, ensuite, répartit les biens selon son bon vouloir.

Mais ce droit de propriété est d'autant plus bafoué aujourd'hui que l'Etat a choisi de baser une part de plus en plus grande de ses revenus sur la valeur des propriétés. Ce sont non seulement les taxes à l'achat et à la vente. Ce sont aussi les prélèvements sur les plus-values, les taxes foncières et d'habitation, et toute la collection des prélèvements sur la valeur.

Il ne faut pas entendre ici que le libéralisme rejette toute taxation destinée à entretenir la part des infrastructures communes qu'utilise, par exemple, tout occupant d'un logement. Mais la seule manière justifiable de percevoir la quote-part de ces frais est, bien évidemment, sur les revenus de l'utilisateur, et certainement pas sur la valeur de son bien.

On voit immédiatement la cohérence au centre du libéralisme (et, par comparaison, la confusion dans les méthodes de taxation pratiquées par les administrations). Dans les pays où des bulles immobilières ont enflé, puis explosé, les fonctionnaires ont allégrement encaissé des revenus artificiels au cours de la période de hausse, jusqu'à l'effondrement total des ventes et des recettes, et le blocage total du marché. Si l'ensemble des taxes avait été perçues sur les revenus des citoyens, les recettes des États et des administrations locales n'auraient que faiblement augmenté dans le temps, ce qui est certainement plus justifiable d'un point de vue moral (autant qu'économique!) que des revenus publics dépendant d'effets d'aubaine et d'évaluations artificielles.

Toute compromission du libéralisme avec les méthodes actuellement pratiquées, dans ce domaine comme dans tous les autres, aboutit à son affaiblissement. Abandonner une partie de sa liberté, c'est cesser d'être libre. Un parti authentiquement libéral, s'il veut faire partie d'un gouvernement, doit absolument imposer cette évidence. Et donc refuser toute mesure qui n'irait pas dans le sens d'une élimination des pratiques actuelles, et d'une refondation complète du processus démocratique.

La France est un exemple parfait d'une construction de plus en plus complexe, destinée à dissimuler plus de trente ans de gabegie. Et les conservateurs sont à peine moins responsables que les socialo-communistes de cette fuite en avant. Pour les premiers, seul l'État peut décider des secteurs où innover, embaucher, investir. C'est le "Concorde", le "France", les "grands travaux", les "entreprises d'État". Pour les seconds, il suffit de taxer ceux qui réussissent pour que seul l'État ait les moyens d'embaucher. C'est l'enseignement, les contrôles, les revenus de remplacement, les emplois "aidés".

Le libéralisme lutte contre l'un et l'autre, le conservatisme et le collectivisme. Comme l'écrivait Cécile Philippe, directrice de l'Institut Molinari, dans une Tribune récente publiée dans Le Figaro ("Fiscalité: l'idéologie à la manoeuvre", 1er octobre 2013):

"L'État prend d'une main ce qu'il redonne de l'autre comme si ce passage obligé par la case "État" sanctifiait le revenu obtenu. Or, c'est justement là que le bât blesse. La fiscalité et les subventions - loin de glorifier la création de richesse - suscitent toutes sortes d'effets pervers qu'il est grand temps de considérer avec sérieux".

Tout cela est très vrai, et le libéralisme doit défendre, sans compromis aucun, toute politique qui supprime perceptions et subventions, taxes et aides, impôts et revenus de remplacement. Or Mme Philippe continue son article en défendant les niches fiscales. Et ceci sous le prétexte que celles-ci sont "des moyens octroyés au fil du temps par les pouvoirs publics pour rendre la pression fiscale et sociale plus supportable".

Tenter de "justifier" une partie de l'équation "État", c'est défendre la totalité du système. Citons un exemple belge: une pression fiscale extrême, qui fait du Royaume surréaliste d'Ubu le détenteur du record mondial des "prélèvements obligatoires", a amené l'État et ses multiples déguisements à voler plus de 50% des revenus, même les plus modestes. Ce taux est en effet appliqué dès 3.000€ mensuels. Offrir en contrepartie de cette prédation des "chèques-restaurants", ou des "éco-chèques", ou encore des "voitures de fonction" traités plus "favorablement" du point de vue fiscal, est une aberration et une hypocrisie. Un voleur qui cambriolerait toute ma maison, puis viendrait me "rendre" une bricole sans valeur, reste un criminel. Un vrai libéral exigera à la fois la baisse des prélèvements et l'élimination des "restitutions" partielles.

Certes, comme le dit le titre de la Tribune de Mme Philippe, "l'idéologie est à la manoeuvre". Mais ce sont les idéologies de droite et de gauche qui sont à la manoeuvre. Ce qui gouverne aujourd'hui est une idéologie étatique. Le libéralisme, quant à lui, n'est pas une idéologie. Il ne demande que le rétablissement des libertés individuelles. C'est-à-dire de ces vraies "valeurs républicaines", celles de la Révolution Française: "Liberté, Propriété, Sécurité et Résistance à l'Oppression". Les fausses valeurs inventées plus tard, et dont nous rabâche l'État, lui ont permis d'étendre ses tentacules jusqu'à étouffer la société. "Égalité" et "Fraternité" ne sont en effet que des ersatz destinés à masquer la nuisance de l'État, en lui permettant de mener nos vies à notre place, en prétendant imposer l'égalité et se substituer à la fraternité.