jeudi 14 février 2013

Burqa ou pas burqa?


L'une des questions fondamentales que le libéralisme a toujours peiné à résoudre est l'attitude à adopter vis-à-vis du communautarisme et du "marquage" de territoire. Faut-il, en d'autres mots, "tolérer l'intolérance"?

La question d'attitudes vestimentaires de "marquage" n'est pas la création des sociétés libérales elles-mêmes, mais leur est posée par un comportement adopté par de nouvelles populations cherchant à se différencier par des habitudes vestimentaires jusqu'ici inconnues sous nos climats.

Drieu Godefridi reprend sur "Contrepoints" certains des arguments qu'il développait dans un article publié en 2010 sur le site du défunt Institut Hayek. C'est une position. Mais d'autres points de vue sont tout autant, sinon plus, conformes aux principes de la liberté individuelle. C'est cette autre version qui est développée ici.

Nul ne cherchera à dissimuler que la société européenne est en profonde mutation, non de son propre fait, mais de par les comportements délibérés de populations qui se sont invitées en Europe, pour y bénéficier de conditions de vie plus avantageuses. La plupart des nouveaux venus ont compris que cette civilisation, qui - par définition - leur faisait envie, était fondée sur un principe fondamental, celui de la liberté, tant de penser que d'entreprendre, et donc sur une remise en question permanente. Par leur choix de migrer (ou de s'implanter), ces migrants démontrent que c'est l'absence de liberté et les certitudes de l'obscurantisme, qui avaient ruiné les sociétés dont ils étaient originaires.

Il est toutefois un type de population qui imagine que des comportements primitifs, tribaux, fétichistes, peuvent cohabiter avec la "société ouverte" de Popper ou la "grande société" de Hayek. Ce qui est incertain, c'est la question de savoir s'ils ignorent que ces comportements sont antagoniques de la "société ouverte" ou si, au contraire, ils ne cherchent pas sciemment à détruire celle-ci.

Ne citons qu'un exemple, mais qui nous affecte tous. Chaque fois qu'un européen prend l'avion, sa liberté, comme celle de millions d'autres, est amputée de façon inacceptable (et le coût du déplacement accru) parce que 19 fanatiques, tous originaires du Moyen-Orient, ont, un matin de septembre 2001, massacré des milliers d'innocents en écrasant deux avions sur des gratte-ciel de New York, sous de fumeux prétextes de délices paradisiaques. Utiliser le terme "fanatiques" pour ces criminels leur fait d'ailleurs trop d'honneur, et pourrait paraître accorder un crédit quelconque à leurs délires. Il serait plus exact de les qualifier plus simplement de psychopathes. Mais ces paranoïaques et leurs congénères de Madrid, Bali, Londres, Moscou, Casablanca, etc. sont d'autant plus forts dans leurs hallucinations que la "société ouverte" est plus faible.

Lorsque des quartiers entiers des métropoles européennes ont quitté l'Europe pour devenir des banlieues de Bamako, Kinshasa ou Alger, les habitants qui occupaient ces quartiers avant l'arrivée des nouveaux venus n'ont, eux, d'autre solution que d'abandonner leurs propres racines, leurs logements, leurs commerces pour chercher (s'ils en ont les moyens) un environnement qui leur permette de retrouver sécurité pour eux-mêmes, confiance en leurs voisins, négoces pour leur approvisionnement, et une éducation décente pour leurs enfants.

Certains habitants traditionnels cherchant à s'accrocher, ou n'ayant plus les moyens de quitter leur logement, les nouveaux venus cherchent à éliminer ces derniers "résistants" des territoires conquis. Ils "marquent" leur territoire. La burqa - tout comme le simple voile - est l'une de ces "marques".

Godefridi écrivait dans son article original de 2010 que "rien, dans notre droit commun, ne permet d'interdire le port d'un vêtement dont il est impossible de soutenir sérieusement qu'il constituerait une menace imminente pour autrui". Faut-il comprendre qu'il ne voit aucune objection à ce que quelqu'un se promène avec la tenue du Ku-Klux-Klan, ou un uniforme SS? De même, que penserait-il d'un groupe d'archéo-européens qui déciderait de parader dans les rues de quartiers arabisés après avoir revêtu des tenues de croisés?

Ne voit-il pas non plus d'inconvénient à ce que, par dérision, les archéo-Européens mâles se promènent affublés d'une burqa? Je doute pourtant que ces Européens-là survivent longtemps dans les casbahs de Molenbeek ou de Clichy-sous-bois. Mais alors, comment motiver le refus d'interdire la burqa aux femmes tout en l'interdisant aux hommes?

Parce qu'il s'agit bien là de l'essentiel du problème: pourquoi une religion (qui n'est jamais qu'une superstition et des mythes créés et manipulés par un groupe d'individus) réserve-t-elle un vêtement à tel sexe? Pourquoi les musulmans mâles ne sont-ils pas tenus eux-mêmes à cette "modestie" qu'ils exigent de leurs femmes? Tout simplement parce que ce vêtement (ou toute autre obligation ou interdiction imposée à l'un mais non à l'autre) est la manifestation la plus évidente d'un comportement primitif, hérité du monde animal: la femelle "appartient" au mâle.

Si notre "société ouverte" abandonne ses principes fondamentaux (ses propres "marques") face à la progression des fanatismes et des superstitions, comment fixerons-nous les nouvelles limites d'une société fermée, redevenue tribale? Notre droit de succession doit-il inclure les règles fixées par le Coran, qui précise une répartition des héritages très différente de la nôtre? Faut-il introduire la polygamie, la flagellation et la lapidation dans notre droit matrimonial, l'esclavage dans notre droit du travail, l'amputation des mains et des pieds dans notre droit pénal? Faut-il rétablir la peine de mort pour les apostats? Faut-il, comme en Iran, que les candidats aux élections, et les résultats de celles-ci, soient soumis à l'approbation de chefs religieux auto-proclamés?

Godefridi compare les comportements imposés par la superstition aux manières de se vêtir d'autres groupes de marginaux (punks, gothiques, etc...). Mais aucun de ces groupes ne se réclame de prescriptions morales supérieures à l'état de droit, comme le fait l'Islam. Les marginaux 'autochtones" ne cherchent ni à "marquer" un territoire ni à en exclure les habitants traditionnels ou à interdire les comportements d'une "société ouverte". L'accoutrement des punks et autres groupes saugrenus ne les empêche pas d'effectuer les actes de la vie courante, et notamment ceux qui requièrent une identification. Pour les plus intransigeants des islamistes par contre, les exigences qu'ils mettent sur le compte de leurs superstitions vont bien plus loin que l'obstacle à l'identification. Ces exigences ont des conséquences directes pour ceux qui sont amenés à traiter avec eux, et à qui ils imposent ainsi, d'une certaine manière, de se soumettre contre leur gré à ces mêmes coutumes. Même la simple courtoisie entre les sexes n'a plus de raison d'être: toute femme voilée déclare en effet, par la protection textile dont elle s'entoure, qu'elle vous réduit à un prédateur sexuel.

Nul ne peut nier que les territoires "voilés" coïncident presque exactement avec les zones de non-droit créées par des populations qui y imposent leur propres versions de l'"ordre" et de la "justice" tribaux, et sont progressivement prises en charge et contrôlées par les hordes elles-mêmes, qui remplacent ainsi l'état de droit par la force brute. Après avoir exclu les habitants "autochtones" par la terreur, après avoir saccagé la vie économique dans les zones occupées, les hordes sont d'ailleurs obligées d'aller piller d'autres régions, dans un phénomène de "tache d'huile" destructeur.

Il serait naïf de prétendre que la liberté n'a besoin ni d'être constamment réaffirmée, ni d'être défendue. Hayek avait dénoncé les attaques dont elle a été l'objet, depuis le fascisme et le communisme ("La Route de la Servitude") jusqu'à la démocratie "illimitée" ("Droit, Législation et Liberté"). Il annonçait déjà la quatrième menace dans "La Constitution de la Liberté", lorsqu'il écrivait:

"Religious beliefs seem to be almost the only ground on which general rules seriously restrictive of liberty have ever been universally enforced" [1]

Godefridi conclut au contraire qu'"il faut accepter certaines manifestations inoffensives de la culture islamique au sens large, ou renoncer à la démocratie".

Faut-il rappeler que c'est l'"acceptation" progressive "de certaines manifestations inoffensives de la culture" fasciste qui a finalement permis au totalitarisme de s'emparer du pouvoir? Hayek l'écrivait d'ailleurs lui-même en 1944:

"Depuis vingt-cinq ans au moins avant le moment où le spectre du totalitarisme est devenu une menace immédiate, nous nous sommes progressivement écartés des idéaux essentiels sur lesquels la civilisation européenne est fondée." [2].

Cette "civilisation européenne" s'est relevée des attaques du fascisme et du collectivisme. Elle résistera peut-être à la "démocratie illimitée". Mais elle ne survivra pas à ce que J.S. Mill (cité par Hayek dans sa "Constitution of Liberty" a appelé "le despotisme de la coutume". Mill jugeait ce despotisme "total" dans "la plus grande partie du monde" et écrivait que "c'est le cas de tout l'Orient". Or le Coran est clair à ce sujet: "L'Orient et l'Occident appartiennent à Dieu" [3], et ce qui a fait la richesse de l'Occident doit donc disparaître.

Dans mon exemplaire du Coran, l'introduction par le traducteur, D. Masson, faisait état de 350.000 musulmans en France en 1967, et de 2,5 millions en 1985. Aujourd'hui, ils sont estimés à 6 millions, soit une multiplication par 18, dans une population totale qui n'a augmenté que de 10% sur cette même période. Il n'y a aucune raison de croire que de tels taux de progression ne se poursuivront pas, et que la France entière ne sera pas devenue une "terre d'Islam" avant la fin de ce siècle.

Il est donc légitime de se poser dès aujourd'hui la question de savoir si "l'Europe peut encore être la même avec un peuple différent sur son territoire?", le sous-titre du livre d'un éditorialiste du "Financial Times" [4].

Face à la négation d'une liberté et au "marquage" d'un territoire (le voile) il existe deux réponses possibles pour le libéralisme. Une réponse "molle" et suicidaire: il est "interdit d'interdire". Et une réponse ferme: l'esclavage est interdit, même si l'esclave est consentant.

Il est amusant de lire, dans l'un des textes fondateurs du libéralisme [5], que les exemples de prescriptions imposées par la religion musulmane cités par Mill, sont, selon lui, "tirés de circonstances impossibles chez nous". Ce que Mill jugeait "impossible chez nous" de son temps ne l'est plus 150 ans plus tard, et demande donc une véritable réponse, renvoyant dos à dos totalitarisme et résignation.


NOTES

[1] "The Constitution of Liberty", Routledge, réimpr. 2005, page 155.

[2] "La Route de la Servitude", PUF, 2e ed., 1993, page 17

[3]        Sourate II, verset 115.

[4]            Christopher Caldwell, "Reflections on the Revolution in Europe" (Allen Lane, 2009).

[5]        J.S. Mill, "De La Liberté", Gallimard, Folios, 1990, page 195.