samedi 12 mai 2012

Austérité pour l'Etat, croissance pour tous

Austérité pour l'État, croissance pour tous

L'élection, en France, d'un président qui croit que l'État a non seulement le pouvoir, mais aussi le devoir, de créer de la croissance par la loi et les décrets, sonne le glas des libertés économiques - et de la croissance elle-même. La chancelière allemande, qui a passé une partie de son existence dans ce qui était la "République Démocratique Allemande", a pu constater les dégâts que causent de telles croyances en la toute puissance des bureaucraties. La France, il est vrai, a toujours flirté avec des rêves de totalitarisme bureaucratique et l'utopie communiste. A la fin de la dernière guerre, il s'en est fallu de peu que la France ne choisisse de vivre de l'autre côté du rideau de fer. Il est d'ailleurs vraisemblable, si les résistants communistes avaient réussi à faire pencher la balance vers une soumission à Moscou et aux thèses marxistes, que les français auraient aujourd'hui moins de socialisme et bien plus de libertés, puisqu'ils auraient définitivement abandonné le "paradis" socialiste, comme l'ont fait les Polonais, les Slovaques et tous ceux qui ont vécu enfermés dans ce "paradis".

Dans toute sa campagne, le nouveau président s'est targué de sa capacité de contraindre le gouvernement allemand à renégocier (c'est-à-dire à abandonner) le pacte de stabilité qui conditionne l'appartenance à la zone euro, et qui garantissait jusque maintenant que la monnaie commune ressemblerait plus au défunt Deutsche Mark qu'aux anciennes monnaies méditerranéennes, franc compris.

Charles de Gaule avait ironisé sur les économistes, en plaisantant qu'un expert de cette discipline ne pouvait être qu'anglo-saxon. Le général ne semblait pas penser qu'un français puisse être un économiste. Certes il existe autant, sinon plus, d'erreurs et de charlatans dans cette profession que dans d'autres. Mais les erreurs deviennent rapidement évidentes. Les fausses prescriptions et l'authentique mauvaise foi sont impuissantes face à la réalité. Nous examinerons quelques-unes des prescriptions du docteur Hollande.

Augmenter encore la pression fiscale

Le catalogue des mesures que le nouveau président se propose d'infliger à la France ressemble plus à ces remèdes du Docteur Diafoirus de Molière: "saignare, ensuita purgare", sauf qu'ils seraient appliqués non pas à la partie malade mais à la partie saine. C'est l'État qu'il faut saigner, puis purger, et non pas le secteur privé. Etudes après études ont démontré que toute augmentation de la pression fiscale réduit le produit intérieur brut [1].  Pour chaque augmentation de 1% de la prédation fiscale, le PIB réel diminue de 2 à 3%. Cette baisse de la production de biens et de services entraîne évidemment une réduction de l'emploi et une augmentation du chômage.

Le choix est donc simple: augmenter les revenus de l'État réduit le total des revenus du pays, et donc, plus que proportionnellement, les revenus du secteur privé. La base sur laquelle l'État prélève sa part est donc à nouveau réduite, le contraignant à de nouvelles ponctions, dans un infernal et suicidaire cercle vicieux.

Créer un banque publique de développement

L'une des propositions du nouveau chef d'Etat de la France socialiste est de relancer la croissance grâce au financement d'investissements par une banque publique de développement qu'il se propose de créer. Cette proposition est répétée assez souvent pour qu'il vaille la peine de s'y attarder. Aucune précision n'est donnée, à ce stade, sur l'origine des fonds qui serviront d'une part à constituer le capital de la banque et d'autre part à fournir les ressources nécessaires à l'octroi de prêts.

Pour les fonds propres, soit l'Etat utilise des ressources fiscales pour libérer ce capital, soit il lance une souscription. Dans ce second cas, il est vraisemblable qu'il contraindra des entreprises publiques, ou des banques, à mettre la main à la poche. Comme dans le cas d'une souscription, l'Etat prélève donc des moyens existants au détriment d'autres projets qui auraient été financés sans son intervention, qui auraient eu une rentabilité plus grande et qui auraient donc contribué plus efficacement à cette "relance" tant recherchée, si l'Etat avait enfin consenti à abattre les obstacles qu'il a lui-même érigé pour décourager l'investissement. L'Etat peut aussi ne libérer qu'une part du capital souscrit, mais dans ce cas il engagerait la responsabilité des contribuables en cas de faillite.

Les ressources de cette banque publique devraient provenir d'emprunts sur les marchés, sauf bien entendu si monsieur Hollande parvient à imposer l'idée d'une souscription obligatoire, sous forme d'une ponction autoritaire de l'épargne, un procédé habituel en France, qui ne respecte plus depuis longtemps le droit de propriété. Mais ces emprunts par une banque publique entreraient en compétition avec les besoins de financement des entreprises réellement productives, qui ne peuvent concurrencer la signature de l'État (que ces entreprises contribueront cependant à honorer!).

Mais l'essentiel des difficultés résidera dans le processus de décision pour l'octroi des prêts. L'instinct naturel d'un socialiste, énarque de surcroît, c'est-à-dire convaincu de la supériorité du jugement d'un fonctionnaire sur celui du marché, le porte à peupler de ses semblables les instances dirigeantes d'un organisme de prêt public. L'essentiel des ressources seront donc orientées vers d'autres entreprises publiques, des favoris du régime, des régions ou des initiatives dont le potentiel est inscrit non dans la réalité économique mais dans un diktat planificateur.

La Banque Mondiale, elle-même un organisme public de crédit (les Etats sont ses seuls actionnaires), possédant un capital libéré à 10% seulement (les contribuables des Etats-membres garantissent le versement du solde en cas de besoin), a favorisé un temps la création d'institutions publiques de crédit. Peu survivent aujourd'hui, parmi toutes celles qui ont été créées dans les années 1960 et 1970.

Entraver la croissance des entreprises

Le Président Hollande peut parfaitement ignorer ce que le candidat Hollande a avancé comme propositions pour "relancer la croissance". Il est difficile, et même douloureux, pour un socialiste de concéder que l'entreprise privée a un rôle à jouer dans la vie économique. Pour un socialiste, la relance est nécessairement le résultat d'une décision administrative, et ne peut résulter de la somme des initiatives privées. Malgré tous les efforts des socialistes français pour éradiquer le mal, il reste en France quelques petites entreprises, et le président Hollande voudrait - au moins dans les apparences - donner l'impression qu'il leur laisse une chance minime de subsister. Il est vrai qu'il existe souvent des couples où l'un est fonctionnaire et l'autre petit artisan. Un fonctionnaire qui verrait la souffrance, les sacrifices, et l'immense effort de son conjoint pour tenter de subsister malgré les charges, règlements, prélèvements, tracasseries, contrôles et chantages syndicaux, risquerait aussi de devenir un suppôt du libéralisme.

Les propositions Hollande contiennent donc une mesure destinée à alléger la charge fiscale de ces toutes petites entreprises. L'impôt sur les bénéfices sera abaissé à 15% pour les "très petites" entreprises. Il sera de 30% pour les PME et de 35% pour les "grandes" sociétés. Il s'agit là de la démonstration d'une incompréhension totale des modes de développement et des mécanismes de la croissance. Ces dispositions introduisent un nouvel effet "cliquet" dans l'arsenal des règles juridiques, réglementaires, syndicales, environnementales, sociales, etc.. qui font que la France est déjà, et depuis longtemps, un pays où les entreprises, volontairement, évitent de se développer au delà d'un certain seuil", et où, en conséquence, l'Etat est un obstacle - le seul obstacle - à la croissance.

Cette illusion que la croissance peut s'ordonner par l'Etat s'inscrit dans un problème beaucoup plus large de l'incompréhension du processus de croissance lui-même lorsqu'il s'agit de la dynamique des entreprises privées. Mr Hollande comprend parfaitement bien, il est vrai, le processus de la croissance de l'Etat: engager, taxer, ordonner, interdire. Il est dommage qu'il n'ait pas eu l'occasion d'étudier attentivement une étude pourtant publiée à Paris, par l'OCDE, et qui s'intéresse à cette dynamique. Trois conclusions intéressantes sont à tirer de ce document [2].

1) pour les entreprises, la possibilité de se développer dépend aussi de la possibilité d'engager de nouveaux salariés, et donc de la flexibilité plus ou moins grande de licencier qu'ont d'autres entreprises qui seraient, elles, sur le déclin [3]. C'est la "création destructrice" de Shumpeter.

2) les réglementations administratives, environnementales et syndicales, entre autres, qui s'imposent de plus en plus, par paliers successifs, à mesure que la firme grandit, ont nécessairement pour conséquence d'inciter ces firmes à éviter de se développer au-delà d'un certain seuil.

3) mais la conclusion la plus frappante de cette étude, qui compare l'évolution, sur une période de sept années, de firmes nouvellement créées, est que, sept ans après sa création, une PME française aura le même nombre de salariés que celui qu'elle avait à sa création, ou qu'en tout cas elle aura évité de dépasser le "cliquet" suivant. Par contraste, aux Etats-Unis, une firme continuera son développement sans entrave, et aura fréquemment, sept ans après sa création, quatre ou cinq fois plus de salariés qu'au départ.

Ces cliquets s'imposent également pour d'autres paliers. A partir de 50 salariés en effet, de nouveaux carcans syndicaux, réglementaires, fiscaux, s'abattent sur les entreprises qui engageraient ce 50ème employé. Raison sans doute pour qu'il y ait en France 2,4 fois plus d'entreprises de 49 employés que d'entreprises de 50 salariés [4].

L'Etat ne peut d'un côté prétendre promouvoir la croissance et être en même temps, et depuis toujours, le seul obstacle à la croissance des entreprises et de l'emploi productif.

Rémunérer l'inaction plus que le travail

F. Hayek voyait déjà dans la rémunération des chômeurs par des fonds publics, et non pas par une véritable assistance mutuelle, la principale raison de la persistance du chômage. Il n'a malheureusement pas été plus loin dans le raisonnement. En effet, si les cotisations payées par les travailleurs pour "s'assurer" contre les risques de perte d'emploi étaient réellement mutualisées, un effet bénéfique et automatique se mettrait en place: une baisse du nombre de cotisants (en raison de la diminution de l'activité) entraînerait une réduction des ressources disponibles, donc une baisse des indemnités payées aux chômeurs, et automatiquement une plus grande incitation à reprendre une activité productrice et rémunératrice.

Dans ce domaine également, c'est donc l'intervention de l'Etat qui a perverti une idée excellente au départ (la mutualisation et donc une correction automatique), pour la transformer en une gabegie par l'utilisation de ressources fiscales.

Détruire l'épargne pour préserver la gabegie

Malgré la destruction progressive de l'épargne par l'imposition de taux d'intérêt réels négatifs, la banque centrale européenne n'a pas réussi à accomplir ce qu'elle prétendait réaliser: permettre aux États de poursuivre leur gabegie. Elle n'a réussi qu'à appauvrir massivement les citoyens. Avec une inflation moyenne de 2,8% par an, et une "rémunération" des dépôts de 1%, les épargnants perdent donc, sur une masse monétaire de 10.000 milliards d'euros (ce que la BCE nomme "M3"), la somme pharamineuse de 180 milliards d'euros, et ce chaque année.

Sous la pression des bureaucraties nationales, la BCE a donc failli dans le rôle principal qui lui était assigné par le Traité de Maastricht, à savoir le "maintien de la stabilité des prix". En fournissant à toutes les banques, de manière indiscriminée, quelle que soit la solvabilité de leurs actifs, des liquidités à un taux réel négatif, elle alimente l'inflation, détruit l'épargne, rend les banques dépendantes de son financement et aggrave l'instabilité du système.

Parodier le Plan Marshall

Pour tenter de faire croire à la possibilité d'une relance bureaucratique, les Etats ont évoqué la possibilité de "Plans Marshall", qui imiteraient le programme d'aide à la reconstruction de l'Europe, mis en place et financé par les Etats-Unis après la seconde guerre mondiale. La Wallonie, par exemple, en est déjà à son second "Plan Marshall" intérieur.

Cette récupération d'une initiative américaine, pour en faire une caricature, est une insulte à l'intelligence. Dans le "Plan" original, les ressources étaient fournies par un pays étranger (les Etats-Unis). Dans les ersatz de Plans, les Etats confisquent les moyens à un secteur économique pour les détourner vers d'autres, dont ils ont jugé l'avenir plus prometteur. C'est croire que l'innovation, l'initiative, l'emploi, la richesse, naissent de décrets administratifs et non de l'imagination individuelle et de la liberté d'entreprendre.

Le vrai "Plan Marshall" avait mis à la disposition de la France, entre autres pays, des ressources nouvelles, par moitié sous formes de dons, par moitié sous forme de prêts. La part de la France dans ce Plan était d'ailleurs supérieure à celle de l'Allemagne qui avait pourtant besoin de plus de moyens pour se reconstruire. Le premier prêt de la Banque Mondiale était accordé à la France. Appeler aujourd'hui "Plan Marshall" une redistribution des ressources à l'intérieur d'un même pays, ou à l'intérieur de l'Europe, ne parviendra pas à dissimuler un détournement massif de ressources vers des secteurs favorisés par les bureaucraties elles-mêmes, et dont les chances de succès sont donc nulles.

Un véritable "Plan Marshall" ne pourrait se concevoir que si des ressources extérieures, telles que les réserves de la Chine (près de 3000 milliards de dollars) ou celles des pays producteurs de pétrole (qui ont augmenté de plus de 1000 milliards de dollars en 2011 seulement) pouvaient trouver en Europe des investissements promettant une productivité supérieure à celle qu'ils atteindraient dans leurs pays d'origine. Encore faudrait-il que les décisions soient basées exclusivement sur des critères économiques, et non sur des considérations politiques ou des diktats administratifs.

Il restera toujours le trucage des statistiques

Confronté à un échec de ses politiques de "croissance", un socialiste cherchera d'abord à nier, puis à camoufler, et enfin à lancer encore plus d'initiatives de "relance". Il peut aussi, comme Christina Fernández, veuve de Nestor Kirchner, et qui a repris à la mort de son mari la direction et la propriété de l'affaire familiale qu'est devenue l'Argentine, trafiquer les chiffres. Si la croissance n'est pas au rendez-vous (et comment le pourrait-elle lorsque l'Etat augmente sa prédation par les impôts et par l'inflation?), il suffit de "triturer" les chiffres. Si le personnel de l'Office des Statistiques refuse de se plier à cette mascarade, le gouvernement peut parfaitement licencier la direction, ce qui suffit généralement pour faire rentrer dans le rang le reste du personnel, et permettre de camoufler pendant un temps ce qui finira malgré tout un jour par se révéler un échec.

Conclusion

Il n'existe aucune contradiction entre un pacte d'austérité et un programme de croissance. En imposant à l'État une réduction de ses emplois, de ses dimensions, de ses tâches, cette austérité peut effectivement relancer la croissance. Pour chaque réduction de 1% de la ponction fiscale de l'Etat, la croissance pourrait être de 2%. Si, au contraire, l'État continue sa marche inexorable vers ce modèle de monstre totalitaire qu'ont incarné les dictatures communistes, il est inévitable, quasi-mathématique, que chaque emploi public supplémentaire éliminera deux emplois privés, et réduira d'autant la portion, déjà étriquée, des libertés d'innover et d'entreprendre.

Lorsque la Chancelière allemande et le nouveau président français confronteront leurs visions de croissance et d'austérité, il faut souhaiter que le point de vue de la chancelière prévaudra: l'austérité doit concerner les bureaucraties nationales et les Etats individuels. Les déficits budgétaires sont en effet supportés par les contribuables nationaux qui ont élu les politiciens qui ont creusé ces déficits par une redistribution bureaucratique des richesses à l'intérieur de ce même pays.

Par contre, l'Europe pourrait, si elle se basait sur des institutions libérées des pressions bureaucratiques, soutenir les projets productifs qui pourraient apporter la croissance, et s'opposer à ceux qui détruiraient de la richesse. Il est vrai que l'expérience de la BCE, née indépendante et aujourd'hui indécise, n'incite pas à l'optimisme. Et pourtant, l'Europe ne retrouvera la croissance, et ses citoyens le bien-être que les Traités leur promettaient, que si les Etats commencent par s'appliquer à eux-mêmes une véritable cure d'austérité.
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NOTES

[1] A titre d'exemple, citons l'étude publiée par le National Bureau of Economic Research (NBER) en juillet 2007: "The Macroeconomic Effects of Tax Changes: Estimates Based on a New Measure of Fiscal Shocks", par C. et D Romer, NBER Working Paper no 13264.

[2] Scarpetta, S. et al. (2002), “The Role of Policy and Institutions for Productivity and Firm Dynamics: Evidence from Micro and Industry Data”, OECD Economics Department Working Papers, No. 329, OECD Publishing. http://dx.doi.org/10.1787/547061627526

[3] C'est peut-être ici une occasion de souligner la "cohérence dans l'incohérence" entre deux positions qui, prises séparément, sont absurdes: l'interdiction de licencier et l'immigration libre: plutôt que de permettre un déplacement de la main d'œuvre existante vers des entreprises plus productives, la politique de la gauche extrême est d'interdire tout déplacement intérieur (licenciement et donc embauche), tout en autorisant une immigration sans limites pour faire pression sur les salaires.

[4] Le chiffre est tiré d'un article récent de Bloomberg/Business Week, "Why France Has So Many 49-Employee Companies" du 3 mai 2012.

mardi 8 mai 2012

Arnaque au gaz

Lorsque la Commission Européenne a demandé l'ouverture à la concurrence des marchés du gaz, de l'électricité, du téléphone, etc., elle déclarait avoir pour but ultime "le relèvement du niveau et de la qualité de vie" des consommateurs de l'Union. Le mot "consommateurs" ne peut être mis à l'intérieur des guillemets, puisqu'il ne figure pas dans ce préambule du Traité de Rome. Mais il est permis d'espérer que les pères fondateurs avaient effectivement à l'esprit l'ensemble des citoyens, et non pas au exclusivement le niveau et la qualité de vie des bureaucraties.

Ces bureaucraties ont accepté à contrecœur d'ouvrir un marché jusque là cadenassé par des entreprises publiques ou parapubliques. Cette construction permettait de contrôler l'approvisionnement, de bâtir des empires administratifs truffés de féaux du régime, gros pourvoyeurs d'emplois partiellement ou totalement fictifs, sources de revenus fiscaux et parafiscaux qui avaient l'avantage, fort apprécié en ces temps de prédation fiscale galopante, de camoufler les revenus des bureaucraties sous des intitulés tels que "cotisations de solidarité", "frais d'acheminement" ou encore "fonds pour la rénovation du réseau". Le bien-fondé et les vrais bénéficiaires de ces sources de revenus sont bien entendu invérifiables par le consommateur individuel, qui ne pourra pas compter sur les "commissions de régulation" mises en place par l'Etat, et peuplées de "contrôleurs" issus de la même fonction publique.

Dans les pays anglophones, les efforts de transparence et d'ouverture des marchés ont généralement donné de meilleurs résultats que dans les pays du continent, où la résistance des bureaucraties a été considérablement plus forte. En Belgique, souvent laboratoire de l'absurde, il était certain que l'application pratique d'une intention louable serait nécessairement bâclée. De nombreux consommateurs, sceptiques, ont donc choisi de rester clients, par défaut, de l'ancien monopoleur. De plus, c'est pratiquement dans la soi-disant capitale européenne que la libéralisation a eu le moins d'effet, et ce pour trois raisons. La première est l'hésitation des concurrents potentiels devant les exigences des différentes couches du mille-feuille bureaucratique, qui n'avaient aucune intention de laisser tarir source de revenus (pour elles) et de taxation "solidaire" (pour les consommateurs). La seconde est l'avantage concédé au monopoleur sous forme d'une régie d'une partie du réseau de distribution. La troisième est l'importance des investissements requis, pour une population somme toute assez restreinte et des imbroglios juridique, réglementaire, linguistique, géographique, qui sont tous des facteurs d'incertitude.

Cinq ans après la libéralisation (1er janvier 2007), force est de constater que l'évolution des prix au consommateur n'a plus aucune relation avec les prix du gaz naturel sur les marchés internationaux, et donc, il est permis de le supposer, avec les prix auxquels le monopoleur s'approvisionne lui-même. La comparaison des deux tableaux qui suivent est édifiante. Les prix du gaz naturel sur les marchés ont chuté de 80% depuis trois ans. A Bruxelles, par contraste, les distributeurs n'ont cessé d'augmenter leurs tarifs au cours de cette même période.


La "concurrence" semble n'avoir eu pour seul effet que d'inciter les "concurrents" à se plaquer sur les tarifs de l'ancien monopoleur, encouragés en cela, sans doute, par la nécessité de reverser aux administrations une proportion de plus en plus importante de leurs recettes.

Le montant des factures n'a plus de rapport non plus avec l'évolution de la consommation d'un particulier. Quels que soient ses sacrifices et ses investissements pour réduire sa consommation, ce consommateur voit le total de sa facture continuer à augmenter. Sur ce point, une évidence prise sur une facture personnelle récente: malgré des efforts de réduction de consommation (et donc une notable baisse du niveau de confort et de la qualité de vie), le fournisseur "historique" et par défaut augmente le montant des provisions pour les douze mois à venir. En toute logique, il est difficile de réconcilier une réduction des quantités (- 7%), une baisse du prix du produit importé, et une augmentation de la provision (+ 9%).

La responsable du quasi-monopoleur était récemment interrogée dans les médias sur toutes ces contradictions, et sur l'annonce qui avait été faite quelques jours auparavant que le prix final pour le consommateur allait encore augmenter, en dépit de la chute des prix internationaux. Elle acceptait de revenir sur cette décision de hausse, et promettait au contraire une réduction des prix de 10% à partir du 1er mai. Publiquement, la société annonce donc une réduction de 10%, mais, sur la facture personnelle citée, applique de fait une augmentation de 18% de ses prélèvements pour les 12 prochains mois!

Il peut paraître difficile de faire évoluer le prix réclamé aux consommateurs en fonction des prix sur le marché (ce qui serait pourtant le résultat dans un marché véritablement concurrentiel) compte tenu des diverses "contributions" reversées aux administrations, qui ne cessent de réclamer de plus en plus de revenus. Si le consommateur bruxellois voyait sa facture suivre l'évolution de la facture d'un résident de Washington DC, par exemple, la part prélevée par l'administration, ajoutée aux frais de "réseau" représenterait aujourd'hui la quasi-totalité (90%) de la facture des particuliers. La fourniture de gaz naturel n'est plus qu'un prétexte de prélèvements quasi-fiscaux.

Le consommateur est en droit d'attendre que ses factures suivent l'évolution du prix du produit sur les autres marchés. Après tout, le fournisseur ne fait que stocker et distribuer le produit, sans avoir à le transformer.

Dans un tel arrangement, où la baisse de 80% du prix d'achat a été intégralement transformée en bénéfices, et n'a pas été répercutée sur la facture du consommateur, il serait absurde pour ce dernier de souscrire un engagement à long terme, même si les "baisses" de tarif annoncées sont réservées à ce type de contrat. Ceci n'aurait de sens que si des prix garantis protégeaient effectivement la clientèle des variations trop importantes sur les marchés internationaux. On voit surtout qu'un tel engagement permet au monopoleur de continuer à appliquer des tarifs sans aucun rapport avec la baisse considérable du prix du gaz naturel. Il n'existe d'ailleurs aucune justification possible au refus du monopoleur d'appliquer les baisses de tarifs au contrats à durée indéterminée. Bien au contraire, ces contrats se voyant appliquer les hausses plus rapidement, devraient également bénéficier plus vite des baisses de prix.

Ces pratiques n'ont apparemment pas réveillé les fonctionnaires de la "Commission de Régulation de l'Electricité et du Gaz" (CREG). Cette Commission semble moins concernée depuis trois ans par son mandat ("veiller aux intérêts essentiels des consommateurs") que par le maintien des prélèvements au profit des administrations.

L'accès facile aux médias publics, pour le fournisseur "historique", permet au quasi-monopoleur de prétendre agir dans l'intérêt du consommateur, tout en agissant différemment avec chaque consommateur individuellement, sachant que ce dernier n'a pas accès aux mêmes moyens d'information, subira sans réagir les décisions qui l'affectent, ou ne prendra pas la peine d'éplucher les documents fournis par le fournisseur historique (il est vrai qu'en 20 ans, le nombre de pages d'une facture est passé de une à dix, ce qui rend - peut-être intentionnellement d'ailleurs - les factures bien plus opaques).

Puisque les Commissions de Régulation ne remplissent pas la fonction pour laquelle elles ont été créées, pourquoi ne pas utiliser les médias sociaux pour diffuser les informations, et inciter tout un chacun à éplucher ses factures, et - pourquoi pas? - s'indigner: cette fois, ce serait pour la bonne cause: son propre intérêt et non celui des bureaucraties.

samedi 5 mai 2012

Quatre questions de société

Réponses libérales à quatre questions de société

L'Institut des libertés publie, sous la signature de Thierry Guinhut, un article qui pose la question du traitement qu'il conviendrait de réserver à certains comportements dans une société libérale.

http://institutdeslibertes.org/2012/05/05/de-quelques-libertes-liberales-homosexualite-drogues-prostitution-immigration-en-question/

Si souvent les auteurs libéraux traitent la société comme un ensemble homogène, dans laquelle la confiance de tous envers tous est présupposée, les pratiques "à la marge" ont au moins le mérite de tester la solidité du modèle libéral.

Il est aisé d'être libéral dans un village suisse où tout le monde se connaît, où chacun respecte des règles et des traditions qui n'ont même plus besoin d'être rappelées parce qu'elles sont elles-mêmes héritées de siècles de vie commune. Il est plus difficile de se proclamer libéral lorsque l'on est le dernier locataire "autochtone" d'un immeuble HLM occupé entièrement par des nouveaux arrivants qui, en raison de leur écrasante majorité, ne voient plus aucun intérêt à adopter les comportements, la culture, la religion, ni même la langue, du pays de ce dernier autochtone, et qui ont pourtant fait de son pays (et donc de sa culture, au moins économique) la destination de leurs rêves de bien-être matériel.

L'immigration vue par le libéralisme est le dernier sujet analysé par l'article, qui reconnaît qu'Etat-providence et immigration libre sont difficilement compatibles. Certes, il est difficile de justifier qu'un immigrant puisse, dès son arrivée, prétendre à bénéficier d'un système de secours mutuel construit pour des participants qui ont constitué les réserves par de longues années de cotisations, et donc de privations. Il serait tout aussi inacceptable de contraindre les souscripteurs d'assurances incendie en Europe de payer pour les sinistres survenant en Afrique, et pour lesquels les victimes ne seraient pas elles-mêmes assurées. Très rapidement, les Européens cesseraient de payer leurs primes et la "solidarité par la contrainte" n'aurait pour effet que de généraliser la misère, pas la richesse.

Selon moi, le seul point de vue libéral authentique sur le sujet de l'immigration devrait partir de l'individu isolé. Celui-ci construit un réseau de relations familiales, professionnelles, personnelles, dans une totale liberté. Accepter dans ces différents cercles de nouveaux membres est laissé à sa seule appréciation. Aucun auteur libéral n'a jamais affirmé que quiconque devait accepter un nouvel ami, un nouveau partenaire, simplement parce que l'autre l'exige. Ce qui est vrai au niveau individuel doit l'être également au niveau d'une collectivité. Ce n'est donc pas une simple question de "réciprocité", mais une question beaucoup plus fondamentale, réaffirmant au niveau collectif la liberté totale d'accepter ou de refuser un nouveau venu. Mais qu'en est-il si l'on se place du côté du migrant? De même que je n'ai aucun droit de m'emparer d'un objet appartenant à un autre simplement parce que je le désire ou que j'en ai besoin, je n'ai aucun droit d'entrer dans la maison d'un autre simplement parce que j'en ai envie. Je le dis d'autant plus facilement que j'ai été un immigré toute ma vie, mais toujours "invité payant". Une vue authentiquement libérale de l'immigration serait donc que "nul n'a le droit de pénétrer dans un pays qu'il n'y ait été autorisé, et sans y contribuer au moins à son propre entretien et à celui de ses proches".

Hayek n'écrivait pas autre chose dans "Droit, législation et liberté": "La liberté de migration est l'un des principes - et des plus admirables - du libéralisme. Mais cela doit-il généralement donner à l'étranger le droit de s'établir dans une localité où il n'est pas le bienvenu? A-t-il celui d'obtenir un emploi ou d'acquérir une maison si aucun résident ne consent à lui donner du travail ou à lui vendre un logis? Il est certain qu'il a le droit d'accepter un emploi ou d'acheter une maison si quelqu'un le lui offre. Mais les habitants ont-ils personnellement un devoir d'en offrir?"

Poser la question, c'est y répondre...

Un autre point repris dans l'article cité est celui de la prostitution. Murray Rothbard en faisait état dans son "manifeste libertarien", "For a New Liberty" de 1973. Certes, mais il prenait soin de définir la prostitution comme la "vente volontaire d'un service" ("a voluntary sale of a labor service"). Et c'est là le coeur du problème: cette vente est-elle "volontaire" et comment s'en assurer? Lorsque des étrangères en situation irrégulière sont soumises à un chantage précisément en raison de cette situation, la nature du "service" devient secondaire, et le réseau criminel qui exerce ces pressions doit être traité comme il le mérite.

Le troisième point (traité en premier lieu dans l'article) est la question de l'homosexualité, et le regard que pourrait avoir le libéralisme sur ces préférences, personnelles par définition. Il serait difficile de trouver un auteur qui préconiserait une réprobation de ce qui doit être laissé à l'appréciation de chacun. Mais la manière dont la société doit aborder cette question peut différer. L'auteur de l'article pose les questions sans y répondre ("faut-il?", "serait-ce?", etc...). La question centrale (et celle qui est souvent mise en avant par les homosexuels eux-mêmes) et de savoir si la société doit étendre aux couples de même sexe les avantages jusqu'à présent (oserait-on écrire "depuis toujours") réservés aux couples hétérosexuels. Ces "avantages" vont du traitement préférentiel en matière d'assurances, de logement, d'héritage, etc., l'adoption étant venue s'y ajouter plus récemment. Il s'agit donc bien d'avantages. Qu'en serait-il si la société reconnaissait uniquement l'individu isolé comme le sujet de tous les droits? Un partenaire homosexuel n'aurait alors ni plus ni moins de droits qu'une autre personne. Les droits particuliers attachés à un groupe ayant disparu, il est certain que les revendications n'auraient plus lieu d'être.

Comme l'écrivait Ayn Rand, dans "La Vertu d'égoïsme": "Un groupe, comme tel, n'a pas de droits. En se joignant à un groupe, un homme ne peut acquérir de nouveaux droits ni perdre ceux qu'il possède déjà. Le principe des droits individuels est le seul fondement moral de tout groupe ou association. Un groupe qui ne reconnaît pas ce principe n'est pas une association, mais un gang ou une bande de brigands". Changez le mot "groupe" par "mariage" et vous aurez une réponse "libérale" sur l'homosexualité.

Enfin, "last but not least", l'auteur évoque la question des drogues, et s'interroge sur l'opportunité de libéraliser la vente de drogues, tout en l'intégrant dans des circuits commerciaux "en surface" pour sortir ce commerce des réseaux mafieux souterrains. Certes, cette position est conforme à la philosophie libérale, et elle gagne en crédibilité à mesure que le maintien des interdictions, et la lutte contre tout trafic, se sont avérés incapables d'éradiquer totalement le phénomène, ni même de l'endiguer. Mais un point devrait être élucidé: une société authentiquement libérale ne peut ignorer les effets destructeurs de la plupart des drogues sur leurs utilisateurs. La réponse à apporter à cette destruction n'est pas sans rappeler l'obligation morale, pour tout un chacun, de prêter assistance à une personne en danger. S'il devait être mis en place, un marché libre de la drogue devrait aussi inclure une forme de soins, visant à libérer les utilisateurs de ce qui n'est souvent qu'une servitude et une destruction.

jeudi 3 mai 2012

Dix Illusions Dangereuses

Dix Illusions Dangereuses

Thomas Jefferson et Maximilien Robespierre avaient peu de choses en commun, mais ils étaient tous deux convaincus qu'il ne pouvait y avoir de démocratie lorsque les citoyens n'avaient rien à perdre. Le premier faisait confiance aux propriétaires, et sa démocratie dure encore aujourd'hui. Le second a fait des riches des "exilés", et chacun connaît la fin. Mais qu'en est-il lorsque nous n'avons plus que nos illusions à perdre?

La crise financière a révélé que l'inventivité des banques en matière d'ingénierie financière avait dépassé la capacité des institutions chargées d'évaluer et de maîtriser les dangers que représentaient de nouveaux produits. Les contreparties et les risques étaient dilués dans les bilans et répartis hors des limites de l'intervention d'une seule autorité nationale. Les bureaucraties nationales et, dans le cas de l'Europe, supra-nationales, ont tenté, et tentent encore de nous faire croire qu'ils sont capables de résoudre la crise financière par l'homéopathie. Il serait périlleux d'imaginer que les initiatives, prises individuellement ou collectivement par les bureaucraties étatiques, ont aujourd'hui éliminé ou même réduit le danger que représentent les actifs des banques.

Illusion # 1: sauver les banques pour sauver l'épargne

Les politiques ont d'abord tenté de vendre l'idée qu'il était nécessaire de sauver les banques pour sauver l'épargne. Mais il est contradictoire d'affirmer que l'on préserve la valeur de l'épargne alors que, dans le même temps, la BCE inonde le marché de quantités massive de monnaie, tout en maintenant le taux d'intérêt à un niveau très inférieur à celui de l'inflation. Une inflation de 3% n'est plus compensée que très partiellement par des taux de rémunération artificiellement bas. Une dépréciation d'un seul pour cent, prive non seulement l'épargnant de tout rendement, mais le dépouille également de son pouvoir d'achat dans le futur. Une destruction massive de l'épargne est donc sciemment organisée, par des Etats prodigues, et à leur seul profit.

Illusion # 2: assimiler fonds propres et solvabilité

Dans un manuel qui reste à écrire, et qui s'intitulerait "Le contrôle des banques pour (et par) les nuls", un chapitre important serait consacré à l'idée que la solidité des banques dépend du seul niveau de leurs fonds propres. Les accords dits "de Bâle", I, II et III, sont largement basés sur cette utopie. Ceci n'a rien d'étonnant, si l'on considère que ces accords sont négociés, et doivent être acceptés, par les banques elles-mêmes. Le premier des accords de cette série était relativement simple, et imposait un minimum de capital calculé en fonction des "risques pondérés" pris par une banque. Un prêt à l'Etat ne nécessitait aucun capital supplémentaire, tandis qu'une avance à une entreprise privée exigeait un capital équivalant à 8% du risque encouru. L'expérience montre pourtant qu'une banque capitalisée à 100% peut être extrêmement risquée (si elle prête à ses actionnaires, elle n'est plus qu'une coquille vide), et que la véritable garantie de la solvabilité d'une banque est la qualité de ses actifs.

Illusion #3: confondre émission de monnaie et création de richesses

Dans son plaidoyer pro domo "Le temps des turbulences", Alan Greenspan reconnaît à demi-phrase une erreur fatale qui a consisté en un maintien de taux d'intérêts trop bas, et plus généralement d'une politique monétaire laxiste, qui ont provoqué l'apparition de bulles successives. L'éclatement d'une bulle amenait la Réserve Fédérale à ouvrir plus large encore les vannes monétaires, et donc à provoquer la bulle suivante. F. Hayek avait démontré l'inanité de politiques qui visent à "créer la croissance" par l'injection de monnaie. Le seul résultat est de "gonfler" artificiellement les secteurs dépendant de crédits bon marché (l'immobilier et l'Etat ne sont que des exemples) au détriment d'autres secteurs productifs. Les autorités monétaires n'ont plus que deux options: permettre à la "bulle" d'éclater (et donc laisser l'économie retrouver équilibre et potentiel d'expansion) ou poursuivre dans l'erreur, l'expansion monétaire artificielle et l'inflation. Ce serait une dangereuse illusion d'imaginer un seul instant que les mille milliards d'euros prêtés aux banques par la BCE auront pour effet de créer, ni même de préserver, le moindre emploi, la plus petite entreprise, la plus insignifiante découverte.

Illusion # 4: restaurer la confiance sans assainir

Une dangereuse illusion serait de croire que les mesures transitoires prises par la BCE, et qui n'ont d'autre but que de préserver un dangereux statu quo, seraient suffisantes pour assainir les marchés financiers. Le trillion d'euros prêté aux banques sans contrepartie n'a pas restauré la confiance sur les marchés interbancaires. Ces marchés sont pourtant essentiels pour assurer la liquidité des banques, pour lesquelles il a toujours été impossible de faire coïncider très exactement les échéances de leurs ressources avec celles de leurs actifs. Les banques ignorent donc toujours si les autres institutions avec lesquelles elles sont amenées à traiter ne sont pas en péril. Il en est de même, vraisemblablement, des organes de supervision nationaux, et de la BCE elle-même. La confiance ne pourra être rétablie, et les banques ne pourront reprendre leur rôle essentiel d'intermédiation financière, qu'à la condition que les banques aux actifs "pourris" se voient retirer leurs licences, et que l'épargne soit enfin orientée vers les institutions solvables.

Illusion # 5: croire qu'intégrer les marchés suffit à optimiser l'affectation des ressources

Les concepteurs de l'euro avaient annoncé qu'une monnaie commune aurait pour résultat d'intégrer les marchés financiers européens. Mais l'intégration a porté plus sur les éléments négatifs que sur les effets positifs. Une intégration "positive" aurait permis d'orienter une épargne vers les investissements les plus productifs. Encore faut-il qu'il y ait une épargne. Si des gouvernements tels que celui des Pays-Bas ont exigé de leurs citoyens des efforts considérables pour constituer les réserves nécessaires pour assurer le paiement des retraites, d'autres ont choisi l'inaction, et de continuer à transformer une épargne potentielle (les cotisations d'aujourd'hui) en consommation immédiate (les retraites). Il serait inéquitable et même suicidaire de gaspiller l'épargne de la fourmi néerlandaise pour le financement des déficits de la cigale française. Il en est de même de l'épargne des ménages allemands, qui n'est plus affectée au maintien de la compétitivité des entreprises germaniques, mais au financement des déficits publics permanents des pays "méditerranéens", et donc systématiquement détruite.

Illusion # 6: prétendre qu'il puisse y avoir "taxation sans représentation"

Les Etats ne se distinguent que par leur pouvoir de taxation de leurs propres citoyens. Un Etat n'est donc pas l'autre, et chacun doit assumer ses choix. Plus exactement, les choix d'un gouvernement national doivent être assumés par les citoyens du pays qui l'ont élu. Lorsque des politiciens ne se limitent plus à une répartition des ressources entre les électeurs à un moment donné, mais tentent de distribuer plus d'avantages qu'ils ne confisquent de taxes, les gouvernements font payer le coût de cette politique aux générations futures qui, par définition, n'ont pas voix au chapitre et sont donc incapables de se défendre contre cette spoliation. Les banques avaient toujours été l'instrument de cette répartition des coûts dans le temps. Ces emprunts d'Etat étant considérés comme "sûrs" pour une banque de cet Etat, la banque n'était pas tenue d'affecter partie de ses fonds propres en contrepartie de ces actifs. L'intégration des marchés a eu pour conséquence d'étendre ce traitement favorable à tous les Etats membres de l'OCDE. Cette mesure n'est pas sans rapport avec la crise actuelle. Il est donc indispensable de revenir aux règles de bon sens: un Etat n'est pas l'autre, et les banques qui souhaitent financer des investissements productifs sur le territoire national ne doivent pas être pénalisées par rapport à des établissements financiers qui détournent l'épargne nationale vers des Etats étrangers, perpétuellement déficitaires. Les premières contribuent à la création d'un outil productif qui assure l'avenir. Les secondes ne font que privilégier une consommation publique passée, au détriment d'investissements productifs futurs.

Illusion # 7: transférer la supervision sans transférer l'exclusivité de l'autorité

Dans toutes les tentatives d'intégration européenne, quel que soit le domaine concerné (brevets, police, justice, douanes, etc.) les bureaucraties nationales n'ont eu d'autres buts que de conserver leur "souveraineté", et donc d'empêcher l'intégration tout en prétendant l'accepter. Il en est de même de la supervision bancaire. C'est une dangereuse illusion de croire que vingt-sept autorités de contrôle seraient capables d'assurer le respect de règles par des groupes bancaires qui disposent de filiales et de succursales sur tout le territoire de l'Union, et ne se privent pas de transférer risques et ressources au gré des opportunités économiques, fiscales et réglementaires

Illusion #8: confondre le rôle des banques et celui des assurances

Ce fut une erreur de croire que l'autorisation donnée aux banques de fusionner leurs activités de banque et d'assurance permettrait un meilleur fonctionnement des marchés financiers. Dans la réalité, le risque a été démultiplié: la branche assurance couvrait des produits de placement risqués, qui n'auraient pas été assurés par une compagnie sans liens avec la banque, ou qui auraient exigé des primes bien plus importantes. De même, et plus généralement, l'assurance, puis le refinancement par des institutions publiques américaines a provoqué la bulle immobilière, amplifiée par les "subprimes", et le rôle ambigu du couple diabolique Fanny Mae et Freddie Mac. Joindre banque et assurance, c'est renoncer à l'essentiel: un jugement critique et indépendant des risques (cours des actions, prix des matières premières, défaut de paiement d'un Etat, pour ne citer que trois).

Illusion #9: bureaucratiser le crédit et étatiser l'innovation

Tous les Etats cherchent à donner l'illusion qu'ils sont à même de choisir les secteurs qui permettront à la croissance de reprendre. C'était l'argument de l'"Agenda" ou de la "Stratégie" dits "de Lisbonne", et dont aucun des objectifs n'a été atteint. Une nationalisation des banques multipliera les risques d'erreurs, de copinages et de gaspillages, en donnant aux bureaucraties le pouvoir de sélectionner les bénéficiaires de crédits en fonction d'apparentements et de préférences politiques, et au détriment du développement d'entreprises réellement innovantes.

Illusion # 10: généraliser le laxisme

Afin de persuader l'Allemagne d'abandonner le Mark au profit de l'euro, et de convaincre les partisans de l'orthodoxie monétaire qu'il s'agirait d'un renforcement et non d'une dilution, les Etats historiquement prodigues firent mine d'accepter une discipline commune. Dès le départ, des accommodements ont été trouvés, puis des exemptions, pour finalement arriver à des règles qui ne sont plus appliquées par personne. Face à une telle indiscipline, deux choix étaient possibles: contraindre les Etats voyous à sortir du club ou tolérer que tous les membres adoptassent le même laxisme. C'est bien évidemment la seconde solution qui a été choisie, afin de poursuivre quelque temps encore la gabegie. Un pacte bureaucratique (dit "de croissance") ne pourra jamais remplacer un pacte monétaire (dit "de stabilité"), sachant que les actions des bureaucraties, par nature, n'auront jamais d'autres effets que de détourner les moyens financiers des secteurs potentiellement innovants vers des secteurs sans avenir.

Conclusion 

Il est préférable de dissiper les illusions avant de poursuivre dans la direction de ce qui ne peut que se révéler bientôt que des mirages. Prétendre sauver l'épargne n'est pas une excuse pour sauver les banques sans discrimination. C'est bien au contraire l'émission de monnaie factice pour un trillion d'euros qui met en danger à la fois l'épargne (par l'inflation), le système bancaire (par contamination) et même les Etats (par l'absence d'investissements productifs). Comme la langue d'Esope, une banque centrale peut être la meilleure et la pire des choses. Une banque centrale idéale, celle du Traité de Maastricht, ne fournit à l'économie que la quantité de monnaie absolument nécessaire aux échanges. Une banque centrale néfaste prétend "créer de la croissance", une dangereuse illusion. Admettre que les banques centrales ont un rôle ingrat, et qu'il leur est impossible d'atteindre la perfection, ne signifie pas qu'il faille prôner leur suppression, comme le fait Ron Paul, l'un des derniers candidats à l'investiture républicaine. Permettre l'émission de monnaie par tout un chacun ne manquerait pas d'attirer surtout des Madoff.

L'Europe a refusé d'adopter les règles et la discipline germanique qui garantissaient la stabilité du Deutsche Mark. Les politiques et les déficits qui ont amené la France dans le passé à dévaluer de 2% en moyenne annuellement, sont toujours les mêmes que ceux qui prévalaient avant l'adoption de l'euro. S'il fallait aujourd'hui distinguer les billets allemands et les billets français, en y apposant des cachets différents, comme l'ont fait, pour leur "couronne" commune la République Tchèque et la Slovaquie au moment de leur séparation, le billet français ne vaudrait donc plus que 80% du billet estampillé "Deutsche Bundesbank".

 Les peuples non-germaniques ont accepté dans les textes d'adopter la rigueur dès l'introduction d'un "Mark européen". Malheureusement, cet engagement théorique a été tout aussitôt ignoré dans la pratique. Si ces Etats refusent aujourd'hui la rigueur plus grande encore qu'exige un laxisme qui a duré dix années, ils devront bientôt, comme dans la Tchécoslovaquie de 1993, commencer à estampiller leurs billets de banque en euros.