vendredi 12 octobre 2012

L'Euro: monnaie ou misère commune?

L'Euro: monnaie ou misère commune?

Introduction

L'ambition politique d'une "convergence" Européenne des pays membres a conduit non seulement à la création d'un "marché" d'abord "commun", puis "unique", mais aussi au lancement d'une monnaie commune qui s'imposerait à tous, à la manière d'une camisole de force [1].
Pour la première fois, la vision bureaucratique devenait souveraine. Etendre le Deutsche Mark à des pays avec des habitudes de consommation, d'épargne et de taxation très variées, et une grande disparité dans les productivités de leurs industries et de leurs bureaucraties, dues à des éthiques de travail très différentes, a mis inévitablement en évidence les déséquilibres structurels dans tous les pays qui n'avaient ni la rigueur budgétaire ni la discipline monétaire de l'Allemagne.
Bénéficiant pendant un temps de taux d'intérêt très favorables, et de marchés beaucoup plus étendus pour leurs émissions d'emprunts, ces pays prodigues se sont laissé aller avec abandon à des déficits budgétaires massifs, leur permettant de camoufler une mauvaise gouvernance et un gaspillage publics massifs, et ce jusqu'au jour où les investisseurs cessent d'assimiler la dette des Etats méditerranéens à la dette souveraine de l'Allemagne.
La crise financière n'a rien fait pour rassurer les marchés, mais il serait trop simpliste d'affirmer que cette crise est la seule cause des difficultés auxquelles ont à faire face les Trésors Publics indisciplinés. En fait, comme ce document tentera de le démontrer, les causes des difficultés de la zone euro sont antérieures à l'introduction de la monnaie commune, et doivent être recherchées non seulement dans des règles défectueuses, mais dans la manière dont ces règles (déjà excessivement permissives et vagues), bien qu'acceptées comme évidentes et contraignantes par tous les Etats, ont été largement ignorées par ces mêmes Etats
 
Une première réfutation

Afin de démontrer qu'une monnaie commune ne saurait être, en elle même, le problème, mais qu'elle ne fait que mettre en lumière des déficiences structurelles existantes, une comparaison entre les deux plus importantes économies de l'euro-zone est très révélatrice.

Lors des dernières élections présidentielles françaises, les partis "souverainistes", et les partis extrémistes de gauche comme de droite ont prétendu que la monnaie unique européenne avait privé le pays de son "indépendance" économique, particulièrement de sa faculté de fixer (c'est-à-dire de manipuler) le cours de la monnaie nationale. Selon leur thèse, un euro fort est la cause d'une performance de plus en plus décevante des exportations françaises, et de la délocalisation de l'industrie manufacturière.

Mais une simple comparaison des balances commerciales des deux principales économies de la zone euro, la France et l'Allemagne, contredit ces thèses. En fait, l'Allemagne, qui a la même monnaie que la France, a vu son excédent commercial quadrupler depuis l'introduction de l'euro. Même si la crise a provoqué un tassement, la baisse a été partiellement corrigée depuis lors. La France, par contre, a vu son excédent disparaître, et doit faire face aujourd'hui à un déficit record, et continuant à croître.

Il est même surprenant de constater que les balances des deux pays ont commencé à diverger après l'introduction de la monnaie commune, et l'écart entre eux est aujourd'hui cinq fois plus important qu'il ne l'était en 2000. Il est impossible que ce qui a détruit la compétitivité de l'économie française soit en même temps ce qui a soutenu la hausse des exportations allemandes. La réponse devrait plutôt être cherchée dans la réduction de la productivité française, en raison de la réduction autoritaire du temps de travail hebdomadaire, sans diminution de salaire. Les revenus étant maintenus constants, une consommation inchangée devait importer ce qui n'était plus fabriqué localement.

Graphique 1 - Balances commerciales, France et Allemagne

Source: "The Economist", milliards de $ US

La faute ne peut donc être imputée à une monnaie, qui n'est qu'un instrument commun de mesure, mais dans les erreurs d'une société ou de son gouvernement.

Limite de la dette: des saints et des pécheurs

Les inquiétudes actuelles du marché étant provoquées par le niveau de la dette publique, nous examinerons d'abord l'application du critère de convergence concernant la définition d'un niveau "acceptable" de dette publique [2]. La présente section essaiera de démontrer que la question du montant total de la dette ne peut être évoquée sans résoudre auparavant le problème des déficits annuels.

Si le Traité de Maastricht avait interdit toute dette publique, il est vraisemblable que seul le minuscule Luxembourg aurait adopté l'euro. Comme tous les autres pays traînaient derrière eux une dette publique importante, les signataires ont prestement inclus dans le Traité la notion d'un niveau de dette publique "acceptable" ou "viable", déterminé sous forme d'un pourcentage du produit intérieur brut (PIB). Pour les pays qui dépassaient déjà ce plafond, il leur suffisait de montrer une tendance à la réduction du niveau d'endettement.

En effet les pires "délinquants" tentèrent de réduire leur dette "excessive" au cours des années qui précédèrent l'introduction de la monnaie commune. Ceci a été réalisé principalement en augmentant la charge fiscale, en privatisant des entreprises publiques, en reportant des dépenses d'investissement of d'infrastructure, mais non en réduisant la "graisse" du mammouth (les dépenses de fonctionnement et l'emploi public continuèrent d'augmenter) [3]
Les graphiques ci-dessous montrent les efforts accomplis par la Belgique et l'Italie pour ramener leur dette publique en-dessous du niveau "autorisé" de 60% du PIB. Les estimations effectuées par le FMI pour la période 2012-2017 montrent que la proportion de la dette qui dépasse ce plafond sera encore plus importante en 2017 qu'elle ne l'était avant l'introduction de l'euro, même en utilisant les hypothèses optimistes que les marchés acceptent, aux échéances, de reconduire la dette à des taux d'intérêt négatifs (c'est-à-dire inférieurs à l'inflation).

Graphique 2

Graphique 3

Le graphique suivant montre l'évolution des recettes et des dépenses publiques pour deux des pays mentionnés. Il démontre que la réduction modeste du rapport dette/PIB a été bien plus le résultat d'une augmentation des recettes (et donc une taxation plus élevée) que d'une réduction des dépenses. En fait, ces dernières (et notamment l'emploi dans le secteur public) ont continué à augmenter.
Graphique 4

D'autres pays, au contraire, ont mis à profit la période qui précédait l'introduction de l'euro pour réduire leurs dépenses publiques, tout au moins en proportion de leurs PIB, même si cette réduction n'a pas été effective en termes absolus. Le graphique suivant montre l'évolution du budget du gouvernement français, tel que le FMI le détaille:

Graphique 5 - France - Recettes et Dépenses (Gouvernement central)
Source: FMI; en pourcentage du PIB

Ces tendances sont clairement identifiables. La première est un effort, réel ou simplement par le biais de chiffres embellis, de revenir à un budget équilibré dans la période précédant l'introduction de l'euro. Ceci a été obtenu par une augmentation des prélèvements et par une réduction des dépenses (toutes deux exprimées en pourcentage du PIB).

La seconde tendance est une chute des recettes après la crise de 2008, au même moment où les dépenses augmentaient de manière significative, également en termes de pourcentage du PIB.

Les mêmes tendances sont évidentes dans les chiffres concernant l'Allemagne, même si les pourcentages en termes de PIB sont plus bas que les chiffres de la France.

Ce qu'il est plus important de noter toutefois, c'est le fait que l'Allemagne a réussi à réduire le pourcentage du PIB confisqué par l'État (44% en 2009), alors que la part saisie par l'État français, la même année, dépassait 50%.

Graphique 6 - Allemagne - Recettes et Dépenses (Gouvernement central)
Source: FMI; en pourcentage du PIB
 

Pour ce qui concerne la Grèce, le premier pays qui ait déclenché l'alarme, les chiffres montrent que le gouvernement, pendant de nombreuses années, a dépensé à la manière d'un pays développé, mais a perçu des taxes au niveau d'un pays du Tiers-Monde.

Graphique 7 - Grèce - Recettes et Dépenses (Government Central)
Source: FMI; en pourcentage du PIB

Déficits annuel: des interprétations divergentes

Si le volume total de la dette est aujourd'hui la principale préoccupation des marchés, cette question est posée après une longue période durant laquelle les Etats-membres étaient plus concernés, au moins en apparence, par les budgets annuels, et l'interprétation de la première règle du Traité de Maastricht sur le sujet des "procédures de déficit excessifs" [4].

Cette règle a prêté à confusion depuis l'origine, et aucune raison n'a jamais été fournie pour justifier l'existence d'un déficit. Certains pays ont interprété cette règle comme une autorisation de maintenir un déficit permanent à cette limite. Le fait que la formulation reprise par le "Pacte de stabilité et de croissance" (PSC) considère les 3% comme une "valeur de référence", et qu'un déficit est "excessif" au-delà de ce pourcentage, a évidemment favorisé une interprétation laxiste par les États prodigues.

Dès le départ, la règle a été comprise et appliquée de quatre manières différentes:
1)      un pays peut présenter un déficit pendant une période limitée, mais s'oblige à prendre des mesures de redressement afin de compenser les périodes de déficits par des périodes d'excédents, afin d'équilibrer ou de compenser sa situation budgétaire sur la durée totale d'un cycle économique [5]. Le meilleur exemple est donné par la Finlande, comme l'illustre le graphique suivant:
Graphique 8
Source: Eurostat

2)      en temps normal, un pays est tenu de présenter un budget en équilibre mais peut, dans des circonstances exceptionnelles, présenter un déficit équivalent à 3% de son PIB. [6]. Une définition du concept de "circonstances exceptionnelles" a, bien entendu, été soigneusement évitée. L'exemple du Luxembourg, montré ci-dessous, semble un modèle de vertu. Pour ces pays vertueux, un déficit, de quelque importance soit-il, est considéré comme une ultime option, qui ne peut être utilisée qu'exceptionnellement, ou même jamais. Pour ces pays, c'est-à-dire pour leurs gouvernements et leurs chanceux citoyens, la seule option acceptable est un budget en équilibre.

Graphique 9
Source: Eurostat
 
3)      un pays peut osciller constamment entre un budget en équilibre (pas de déficit) et un déficit ne dépassant pas 3% de son PIB. Dans ce cas, des budgets en équilibre cessent d'être une vertu. Cette interprétation est illustrée par le cas ci-dessous, celui de l'Allemagne:

Graphique 10
Source: Eurostat
 
4)   finalement, un pays peut "flirter" en permanence avec un déficit de 3%, même dans les années les plus prospères, en considérant qu'une conjoncture moins favorable pourrait être tolérée comme "exceptionnelle". La France est un "modèle" de cette interprétation, comme le montre le graphique suivant.

Graphique 11
Source: Eurostat
 
Dans la troisième, mais plus encore dans la quatrième interprétation, toute "circonstance exceptionnelle" amènerait le pays à dépasser la limite de 3%, considérée comme un but à atteindre et non une limite à ne pas dépasser.

La liste des principales interprétations, et les conséquences de chacune de celles-ci sur les pays concernés, ne comprend pas un certain nombre de cas, limité jusqu'à présent, à un petit nombre d'États membres de la zone euro. Le cas de l'Irlande (des prévisions budgétaires en équilibre basées sur des hypothèses excessivement optimistes sur la permanence de recettes exceptionnelles, suivies par des budgets effectifs gravement déséquilibrés lorsque survient une récession, devait, espérait-on, rester une exception.

Graphique 12
Source: Eurostat

Le résultat d'interprétations aussi différentes de règles imprécises est une discipline budgétaire de la totalité de la zone euro qui n'est pas meilleure que la moyenne constatée pour les pires contrevenants ou les gouvernements les plus laxistes.

Dans une première étape, entre la signature du Traité de Maastricht et l'introduction de la monnaie commune, les efforts (réels ou simulés) réalisés par les pays candidats, ont ramené le déficit de la zone à zéro. Ensuite, une période de relâchement a provoqué une vague de déficits, ramenés à zéro au cours d'un cycle de sept ans. Mais la crise de 2008 a pris au dépourvu des Etats qui n'avaient plus aucune marge de manœuvre, et les déficits ont à nouveau explosé.


Graphique 13
Source: Eurostat
 
Rafistoler les bouées sur une épave

Les principes de "convergence", qui avaient pour but d'assurer la "stabilité et la croissance", n'ont apporté ni l'une ni l'autre. Les performances décevantes de l'Europe en termes de croissance ne sont dues qu'en partie à la crise qui a débuté en 2008. Avant celle-ci, le taux de croissance de l'Europe était déjà bien inférieur à celui des autres économies majeures, y compris de celle des Etats-Unis. Dans la quasi-totalité des analyses comparatives, le poids de plus en plus lourd des appareils d'Etat dans la plupart des pays est souvent pointé du doigt comme étant la cause principale du déclin européen. Bien sûr, d'autres causes, comme le vieillissement, une faible natalité, un rapport coûts/bénéfices défavorable de l'immigration et de l'immigration de seconde génération, des dépenses sociales financées par l'impôt et non par les contributions volontaires des bénéficiaires, ont également contribué au déclin européen.

Des pays avec des déficits budgétaires annuels "excessifs" (tout déficit n'est-il pas, par définition, "excessif"?) et leur résultante, à savoir des niveaux élevés de dette publique accumulée, comptaient encore sur une croissance hypothétique pour pouvoir payer les intérêts de cette dette (sans jamais la rembourser), et pour continuer à siphonner les marchés financiers. La crise n'a fait que révéler l'évidence, à savoir que la situation était devenue intenable pour un certain nombre de pays. Pour ceux qui appartenaient à la zone euro, les gouvernements ont jugé, après quelque hésitation, qu'un premier "sauvetage" devait être organisé pour les pays qui disposaient encore d'un minimum de crédit auprès des marchés. En Allemagne, que les pays dépensiers considéraient comme le "trésorier" de la zone, des voix se firent entendre pour mettre en cause la constitutionalité et même l'éthique d'un procédé qui consistait à contraindre les contribuables d'un pays à payer pour les conséquences d'une mauvaise gouvernance, de gaspillage, et de modes de vie extravagants dans un autre État.

La Grèce a été la première à déclencher l'alarme lorsqu'il est devenu évident que le pays, inclus à la dernière minute dans la zone euro, accumulait une série de graves déséquilibres structurels, dont certains avaient été "occultés" pendant la phase de convergence.

Un outil a été hâtivement bricolé pour faire face ne serait-ce qu'aux problèmes les plus pressants. Le Fonds Européen de Stabilité Financière ("FESF"), d'abord imaginé pour mutualiser une partie de la dette grecque, était créé, à l'origine comme instrument provisoire. Le fonds a été ensuite sollicité pour venir en aide à d'autres pays, et collectiviser la dette de ceux-ci.

Les marchés peuvent s'accommoder de l'incertitude, mais les prix doivent refléter le degré d'insécurité. Dans le cas des emprunts émis par les États souverains, le prix de l'incertitude est compris dans le taux d'intérêt, et de très grandes disparités sont rapidement apparues entre les "Bunds" allemands et les emprunts grecs ou irlandais.

Le spectre d'un pays de l'euro zone qui viendrait à renier tout ou partie de sa dette souveraine, ou imposant un rééchelonnement de sa dette, n'est plus simplement une possibilité théorique. Mis à part quelques "fonds vautours", les marchés appréhendent un traitement désordonné des créances, au cas par cas, et où l'emprunteur imposerait ses conditions. Tous espèrent qu'aucun pays européen ne se comportera comme l'Argentine, qui a répudié unilatéralement toutes ses obligations, en principal et en intérêts, et qui a continué ses politiques économiques aberrantes, tout en créant des circuits souterrains pour son commerce international et l'accumulation de réserves occultes.

Néanmoins, un besoin se fait sentir pour un mécanisme de résolution des conflits, qui soit accepté à l'avance par toutes les parties, mais qui n'augmenterait pas l'incitation à fournir des fonds à des États impécunieux qui n'auraient pas sans cela accès aux marchés, ou qui auraient à payer un taux d'intérêt plus élevé pour leurs émissions. En d'autres mots, ce mécanisme ne peut pas permettre à des pays prodigues de poursuivre des politiques dispendieuses.

Le problème ne réside pas dans l'appartenance d'un pays en difficulté à la zone euro. Après tout dans un même pays, disposant d'une même monnaie, des entreprises tombent en faillite tandis que d'autres continent à emprunter sans aucune difficulté. Dans le cas d'un État en cessation de paiement, le problème est à la fois pratique et juridique: alors que la force - ou la menace de la force - peut être utilisée contre un individu ou une entreprise, la violence ne peut être utilisée contre un pays, et ses avoirs ne peuvent habituellement être saisis et vendus: comment les créditeurs de la Grèce pourraient-ils mettre le Parthénon aux enchères?

Mais les propositions abondent. Elles appartiennent en gros à deux catégories. La première prolongerait l'agonie en poursuivant la transfusion d'épargne saine de pays "vertueux", pour permettre à la gabegie de continuer dans des pays de l'euro-zone en déficit budgétaire quasi-permanent. La seconde reconnaîtrait l'évidence, et mettrait un terme à la souffrance et à la misère.

Examinons d'abord la proposition de communautarisation des dettes souveraines, et donc la mise en commun des ressources fiscales (en fait la ponction permanente des contribuables allemands pour permettre aux gouvernements sudistes d'être réélus en évitant de réformer les bureaucraties pléthoriques et l'hémorragie des programmes sociaux. Que ces transfusions se fassent par des transferts directs, par des mécanismes tels que le FESF, ou par l'émission d'Eurobonds, importe peu pour le raisonnement.

L'origine des dettes

La mutualisation des dettes repose essentiellement sur deux instruments: un véhicule financier pour la mise en commun des engagements, et une juridiction pour la résolution des conflits. Le premier pourrait être le FESF, les Eurobonds, ou des mécanismes de transferts plus primitifs, du type de la PAC. Le second serait une nouvelle chambre de la Cour Européenne de Justice, à qui seraient confiées les procédures de rééchelonnement et de remise de dettes souveraines [7].

Comme nous l'avons vu, le niveau des dettes souveraines a été atteint par l'addition de déficits budgétaire annuels, générés eux-mêmes par des dépenses excessives, dont la plus large part consiste en salaires et autres avantages pour des "serviteurs de l'État", à savoir des salariés bénéficient de contrats d'emploi exemptés de la législation ordinaire, et qui sont employés par l'État central et toutes les subdivisions de celui-ci, les municipalités, les sociétés publiques, et la myriade d'autres entités contrôlées par l'État.

Lorsque le niveau des dettes accumulées devient insoutenable, le choix éthique devrait être de réduire les engagements de l'Etat envers ses salariés, ce qui permettrait au niveau de la dette de baisser bien plus rapidement que par un rééchelonnement ou un défaut de paiement. Après tout, toute personne qui a vécu au-dessus de ses moyens, et ne peut plus assumer son train de vie, commence par se défaire de ses "serviteurs".

Par contre, lorsque l'État continue à payer des salaires, des retraites, des avantages extravagants à ses propres employés, et, pour cela, augmente la pression fiscale sur les autres citoyens, ou refuse d'honorer ses engagements à l'égard de ses créanciers, ne peut raisonnement être considéré comme "éthique". Si un tribunal devait approuver ce pillage, et permettre ainsi à cet État de poursuivre la dilapidation des revenus et des biens de ses citoyens, ses jugements seraient une insulte à l'idée même de justice.

La dérive de l'Argentine depuis dix ans est un excellent exemple de l'impuissance de juridictions face à la détermination d'un gouvernement de refuser d'honorer ses engagements. Cette débâcle d'un pays qui fut au début du 20ème siècle l'un des plus riches du monde n'est que le résultat d'une mauvaise gouvernance par les puissances politiques, et ce depuis de longues années. Les richesses considérables du pays, et son potentiel plus grand encore ont été systématiquement et sciemment dilapidés dans la poursuite de buts politiques [8].

Lorsque l'Argentine a fait défaut fin 2001, elle avait poursuivi des politiques économiques et sociales chaotiques, dans une confusion totale (trois chefs d'état se sont succédés en l'espace d'une semaine). Aucun tribunal extérieur n'aurait pu empêcher cette débâcle, d'autant qu'une partie de la dette argentine était détenue par d'autres états souverains.

Au cours des dix dernières années, l'Argentine a refusé d'accepter toute responsabilité pour ce "déclin sans équivalent". Elle a également refusé tout règlement définitif des arriérés, tout en accumulant des réserves, et en déclarant une augmentation de son PIB de 7% (l'Office des Statistiques, organisme officiel, embellissant les comptes pour minimiser l'inflation, le PIB réel est sujet à caution). Pour poursuivre ses politiques, le pays est contraint d'emprunter au Venezuela, à un taux de 15%, très largement supérieur à ce que le pays aurait payé s'il avait été géré comme, par exemple, son voisin le Chili.






Un tribunal souverain ou un instrument des États
La plupart des propositions de règlement de la crise européenne, et du ralentissement de son naufrage, sont viciées par l'illusion que les États respecteront les engagements qu'ils prennent pour obtenir de l'aide, et qu'ils se plieront aux sanctions que prononcerait un "tribunal" placé au-dessus des Etats souverains.
Mais ces "souverainetés" sont évidemment, comme on l'a vu à plusieurs reprises, au mieux une contradiction [9], au pire une illusion. Des "souverainetés" concurrentes rendent le mécanisme inopérant. Il est impossible par exemple de concilier la souveraineté de l'État "transgresseur" (qui dispose malgré tout du monopole de la force) et celle du tribunal qui jugerait une dette "excessive". Cette impossibilité est d'ailleurs apparue presque immédiatement après l'introduction de l'euro, lorsque la France, et l'Allemagne elle-même, ont transgressé les limites du Traité de Maastricht, et que ces deux pays ont contraint la Commission Européenne à battre en retraite lorsqu'elle a tenté d'imposer des sanctions, c'est-à-dire d'appliquer des règles que les deux Etats avaient pourtant acceptées.
Les plus farouches adversaires de la discipline budgétaire (qui vont de l'extrême droite à l'extrême gauche) s'indignent qu'un gouvernement soit placé sous tutelle, arguant du fait que ce serait la négation de la démocratie (ici, c'est le peuple qui est "souverain"). Mais, comme l'a amplement démontré Hayek, c'est précisément la forme "illimitée" de la démocratie qui a encouragé les gouvernements à distribuer faveurs, emplois, assistance, pour acheter un nombre suffisant de votes, dans le seul but de conserver ou de s'emparer du pouvoir.
C'est cette "démocratie illimitée", une perversion de la démocratie, qui provoque l'apparition des déficits, et qui empêche de réduire les dépenses publiques lorsque les revenus baissent. C'est donc l'achat de votes par les gouvernements, et la vente de votes par les électeurs qui ont créé les déficits. Les scénarios diffèrent selon les pays, mais le résultat final est toujours le même:
·         une évasion fiscale massive de la part des citoyens cherchant à se protéger de la prédation de l'Etat, des bénéfices sociaux grotesques accordés aux fonctionnaires, des allocations sociales "inventives" distribuées à une multitude de catégories d'électeurs [10];

·         la création d'emplois grâce à une taxation artificiellement basse des bénéfices des sociétés (le cas de l'Irlande);

·         la réduction de la production tout en maintenant les salaires et donc la consommation (la France et sa semaine des 35 heures):

·         la multiplication des niveaux de gouvernement au détriment de l'efficacité et de la maîtrise des dépenses totales (la Belgique et l'Espagne);

·         l'utilisation de taux d'intérêts artificiellement bas dans le but de favoriser une bulle dans des secteurs exigeants en capital (l'Espagne et son secteur immobilier);

Toute institution chargée de juger et condamner un Etat prodigue rencontrera deux difficultés. La première sera de récolter, interpréter, et analyser de manière critique des quantités importantes de données. La seconde sera de faire respecter ses décisions.




Quelle sera la fiabilité de l'information récoltée par une telle institution? Les données sont évidemment fournies en grande partie par le pays lui-même, et donc sujettes à caution [11]. Elle seront évidemment contestées par le pays lui-même. Lorsque les décisions du "tribunal" sont prises sur base de prévisions, comment contester les hypothèses de départ, qui ne sont que des estimations? Si la réalité diffère ensuite des prévisions, quelle serait la contrainte d'une décision antérieure? Comment discipliner un gouvernement qui continue à dépenser et emprunter, si ce n'est en pénalisant les citoyens (et non le gouvernement responsable)? Quelle serait la réaction d'un tribunal face à une situation d'urgence dans un pays (catastrophe naturelle, coup d'Etat, conflit armé, ...)? Quelle serait la force d'une décision lorsque le pays "délinquant" est le plus important de la zone euro?
 
Même dans le cas où le "tribunal" parviendrait à prendre une décision, la première question serait de savoir qui serait chargé de son exécution (rappelons que les Etats individuels disposent toujours du monopole de la force). Si des pénalités (prévues par le Traité) sont exigées, leur montant deviendra l'objet de marchandages. ces pénalités seraient nécessairement payées par les citoyens, qui ne sont pas responsables des erreurs et des excès de leurs bureaucraties (et en seraient même les premières victimes). Les Traités sont muets sur les bénéficiaires de ces pénalités, mais il est permis de supposer qu'elles seraient conservées par les administrations européennes [12]. Même appliquées, les décisions du "tribunal" ne résolvent en aucune façon les problèmes structurels qui ont provoqué le déficit, et qui contribueront à la prochaine crise.
 
Enfin, la situation de chaque pays reste spécifique, et différente des autres. Les éléments à prendre en considération (et qu'un Etat ne manquerait pas de faire valoir) seraient la pyramide des âges, les flux commerciaux, la part de la propriété aux mains de l'Etat, le calendrier des élections, le niveau et la distribution des revenus, le taux d'épargne, la part de l'épargne nationale dans la dette publique, l'échéancier de cette dette, la part des retraites non provisionnées, etc...
 
Plutôt que d'exiger le respect des Traités, les institutions européennes ont préféré jusqu'à présent une solution de facilité, qui consiste à accorder une assistance financière aux pays insolvables. En l'absence de mécanisme fédéral de prédation et de redistribution par l'impôt, cette "solution" permet de reporter l'échéance, tout en aggravant le problème. Les contribuables d'un pays "donneur" sont devenus incapables de distinguer entre les taxes et les emprunts de leur propre Etat qui seraient utilisés pour leurs propres besoins et ceux qui seraient détournés pour soulager les contribuables des pays "receveurs".
 
C'est le laxisme irresponsable des bureaucraties étatiques qui a permis aux banques d'un Etat déterminé de considérer comme identique le risque pris sur tous les Etats de l'OCDE. Auparavant, et pour des raisons évidentes, seules les créances des banques sur leur propre Etat étaient considérées comme "sûres" et ne nécessitant pas l'affectation de fonds propres additionnels. L'intégration des marchés européens, et donc la possibilité pour un Etat de siphonner l'épargne d'autres Etats, était vantée comme l'un des avantages de la monnaie commune.
 
Aujourd'hui, le seul résultat de cette intégration a été de permettre à des Etats prodigues de financer leur propre consommation au détriment des investissements par le secteur privé dans d'autres Etats. Le processus productif s'est donc détérioré dans toute la zone euro.

Se mettre d'accord sur un cadre juridique commun pour la résolution des crises n'implique pas nécessairement que certains Etats acceptent de prendre en charge le budget de fonctionnement d'autres Etats plus prodigues. Ceci impliquerait en effet qu'un gouvernement accepterait de prendre l'énorme risque politique qui consisterait à contraindre ses propres citoyens (par une augmentation immédiate de leur charge fiscale, ou par un accroissement de la dette publique, donc des impôts futurs), de payer les bénéfices sociaux et les emplois publics dont un autre gouvernement arrose ses propres citoyens.

Les "prêteurs" verraient leur charge fiscale augmenter sans être capables de modifier les politiques dispendieuses des "emprunteurs". Cela équivaudrait à une "taxation sans représentation", donc à la négation même de la démocratie. C'est ce que recherchent les gouvernements des pays mal gérés, afin d'éviter ou de reporter les ajustements nécessaires.

 
Les sorties de secours

Depuis le début de la crise, en 2008, l'Europe n'a cessé d'appliquer des recettes exigeant toujours plus d'Etat, en protégeant les Etats faillis et en contraignant les Etats bien gérés à augmenter leur charge fiscale. Maintien des dépenses dans les premiers, augmentation des recettes dans les seconds. Ceci n'a abouti qu'à des "solutions" provisoires, qui ne réussissaient pas à corriger les déséquilibres fondamentaux, et donc aggravaient la crise.

Des solutions existent pourtant. Elles ne sont cependant compatibles ni avec un démarchage électoral, ni avec une routine bureaucratique, et seraient donc suicidaires pour les politiciens qui les mettraient en place. Peu de politiciens ont fait carrière en promettant du "sang, de la sueur et des larmes" au lieu du "raser gratis" traditionnel.

Mais nous donnons néanmoins quelques suggestions.

1. Renforcer et clarifier les règles

Ainsi que l'on pouvait s'y attendre de la part d'Etats uniquement préoccupés de préserver leur "souveraineté", c'est-à-dire leur pouvoir exclusif de taxer et voler leurs citoyens, les règles concernant des "déficits excessifs" incluses dans les Traités, et bien qu'elles aient déjà été très vagues furent définies comme si elles devaient être enfreintes dès le début.

Aujourd'hui, des institutions qui n'ont d'objectif que l'intérêt des Etats et qui n'ont que mépris pour l'intérêt des citoyens, proposent plus de règles, et plus d'institutions publiques. Mais les règles n'étaient pas "insuffisantes". Elles étaient, au contraire, mal conçues et vagues, ce qui les livraient à l'interprétation et les rendaient donc inutilisables. Pire, elles donnaient l'illusion - dangereuse - parce qu'elles existaient, qu'elles éviteraient la crise alors qu'elles y contribuaient.

Ajouter aux règles existantes est donc inutile et même nuisible. Il faut au contraire renforcer et clarifier celles qui existent. Prenant l'exemple du ratio entre déficit budgétaire et PIB (maximum 3%), les règles existantes devraient être clarifiées:

a) la confusion entre "prévue" et "actuelle" devrait être éliminée: la tolérance de 3% devrait s'appliquait au déficit effectif, et ne pourrait être provoqué que par des circonstances exceptionnelles (elles aussi à définir avec précision). Pour ce qui concerne les "prévisions" budgétaires, aucun déficit ne devrait être toléré.

b) tous les engagements pris par un Etat (en particulier les promesses faites en ce qui concerne les retraites, non provisionnées dans le cas des employés du secteur public), devraient être inclus dans la dette, pour leur valeur actuarielle. Ceci est déjà le cas dans les pays "nordistes" (par exemple les Pays-Bas), à l'inverse des pays "sudistes" (par exemple la France, où moins de 5% de la valeur actualisée est provisionnée). Ceci rend les comparaisons difficiles, en camouflant une grande partie des obligations de certains Etats.

c) le principe des "pénalités" impose aux citoyens une double peine: ce sont eux, et non les gouvernements responsables, qui auront finalement à payer ces pénalités. Il est absurde et injuste de pénaliser les victimes (les contribuables), et non ceux qui ont commis les infractions (un secteur public obèse et des bénéfices sociaux exorbitants). Une pénalité ne réduit pas le déficit, elle l'accroît. La meilleure manière de réduire les déficits serait donc d'enjoindre aux banques centrales de refuser de refinancer des banques en acceptant comme collatéral des emprunts publics: seuls des créances sur les entreprises privées seraient acceptées en garantie. Les banques ne pourraient souscrire à de nouvelles émissions d'emprunts publics: il suffirait pour cela de relever les exigences en capital au niveau de celles appliquées pour les créances les plus risquées. Dans la mesure où la dette publique sert à financer les salaires des fonctionnaires (donc la consommation) alors que les emprunts privés à long terme servent à financer des investissements productifs (on peut l'espérer!), on peut ainsi orienter l'épargne vers l'investissement plutôt que la dilapidation.

d) une distinction fondamentale devrait être faite entre les déficits financés par l'emprunt extérieur et ceux qui sont financés par l'épargne nationale. Le Japon, par exemple, avec un ratio dette/PIB de 200%, n'a aucune difficulté à emprunter auprès de ses propres citoyens. Lorsque cette épargne se tarira (suite à la dépopulation), une nation de retraités devra s'ajuster à l'implosion sans le soutien d'investisseurs étrangers (s'il est encore permis de parler d' "investissement").

e) il y a une tendance à distinguer entre la dette et les déficits concernant les budgets dits "de fonctionnement" et ceux dits "d'investissement". Cette distinction n'a que peu de signification: l'expérience démontre que les investissements publics sont rarement productifs, et que leur seul effet est donc d'alimenter l'inflation. Trop souvent, également, les "investissements" publics remplacent simplement des infrastructures vieillissantes. Enfin, comme dans le cas des autoroutes à péages (particulièrement françaises), la "rentabilité" de l'investissement ne profite pas aux citoyens, mais est détournée vers le budget courant de l'Etat.
 

2. Purger les systèmes financiers

Les États ont placé leurs banques en soins intensifs, effectuant des transfusions de plus en plus importantes de ressources aussitôt disparues. Les problèmes n'ont donc jamais été résolus, d'autant que les injections de moyens étaient d'autant à la mesure de l'hémorragie. Dans la plupart des cas, les États sont devenus des actionnaires, ont garanti des lignes de crédit, ou accordé des aides directes.  Peu de banques ainsi assistées ont réussi à se libérer de cette emprise de l'État, et ce serait une grave erreur d'imaginer que des groupes d'investisseurs privés puissent un jour débarrasser les États d'institutions qui ne retrouveront jamais solvabilité et rentabilité.

Dans certains cas, l'Etat ou des entités publiques sont à la fois actionnaires, garants, créanciers et débiteurs. Il en est ainsi pour Dexia, une banque franco-belge qui a les municipalités pour actionnaires et principaux emprunteurs. Fermer la banque aurait fermé l'accès au crédit de villes et communes au bord de la faillite. Mais la garantie de l'Etat devra un jour être retirée (la part belge a atteint 50% du PIB), ce qui compromet le financement des villes dans le futur. Les entités belge et française, à nouveau séparées, doivent de plus se libérer d'un nouvel actionnaire (l'État, qui s'est substitué aux municipalités) qui continue à dicter la politique de la banque.

Les gouvernements ont, jusqu'à présent, soigneusement évité le recours aux solutions douloureuses, mais celles-ci devront nécessairement être appliquées, et le plus tôt sera le mieux, s'il n'est déjà trop tard. La solution de l'injection monétaire, consistant à émettre de la monnaie au-delà des besoins de l'économie réelle, et à maintenir les taux d'intérêt artificiellement bas, et inférieurs à l'inflation, ont certes prolongé la survie d'institutions déficitaires, mais ces pratiques ne sont pas extensibles ad vitam aeternam. Les banques, inondées de monnaie émise par la banque centrale, et dissimulant leurs insolvabilité derrière des garanties étatiques et des participations croissantes des Etats à leur capital, n'ont toujours pas repris leur rôle consistant à financer les entreprises productives: elles choisissent au contraire de se réfugier dans l'acquisition d'obligations d'Etat.

Ce phénomène a inverti - et perverti - le rôle essentiel des banques, qui est de transformer une épargne à court terme en crédits à long terme pour des investissement productifs. A cause de l'injection monétaire, les banques transforment au contraire l'épargne en obligations d'Etats dont le seul but est de financer des déficits budgétaires, donc des dépenses courantes et improductives.

Le danger de contagion des crises grecque, portugaise, espagnole, italienne, réside essentiellement dans le volume des obligations de ces Etats que détiennent les banques collectant l'épargne dans d'autres Etats. Les banques n'ont fait que tirer avantage d'une réglementation (et donc d'une "régulation" et d'une supervision) qui classe les dettes souveraines de tous les pays membres de l'OCDE sur un pied d'égalité en ce qui concerne le risque, et donc l'exigence de fonds propres [13].

Le choix des banques suivait une certaine logique, compte tenu des nouvelles règles. Ce sont donc les règles qui n'étaient pas logiques et qui doivent être changées d'urgence. Financer certains Etats est aujourd'hui beaucoup plus risqué que de financer des entreprises privées dans son propre Etat. Le premier détruit de la richesse, alors que le second en crée. Même dans leur propre Etat, la réglementation devrait être modifiée pour éliminer les distorsions qu'ont introduit les bureaucraties pour favoriser la vente de leurs obligations aux banques. Gageons que cette réforme, malgré sa nécessité, n'est pas prête d'être introduite.

Les banques insolvables doivent être se voir retirer leurs licences, et être fermées sur le champ [14]. Pour ne pas pénaliser les épargnants (qui ont souvent fait confiance à des banques d'Etat sans être nécessairement informés de leur mauvaise gouvernance), les comptes des clients peuvent être réouverts dans d'autres institutions. Les actifs des banques en question sont liquidés ou vendus. Depuis le début de la crise en 2008, les banques d'Europe continentale n'ont toujours pas été pénalisées pour leurs erreurs et leurs excès. A moins d'un changement radical, des institutions ineffectives et insolvables continueront à mettre tout le système financier en danger.

3. Contraindre les Etats inefficients à se réformer
 
L'utilisation d'une monnaie commune n'implique pas que les Etats en faillite doivent être préservés par des injections permanentes de la part des contribuables d'autres Etats. En effet, à l'intérieur d'un même Etat, un emprunteur qui fait défaut n'est pas "sauvé" en contraignant les autres citoyens à payer pour les dettes du failli.
 
Un "sauvetage" signifierait que les contribuables d'un pays donné (par exemple l'Allemagne) seraient contraints par leur gouvernement à payer les allocations "sociales" dans un autre pays (par exemple un pays méditerranéen), ou les conséquences d'une bulle immobilière, ou des programmes de retraite non provisionnés (une infirmière allemande, qui sera contrainte de travailler jusqu'à 67 ans, paiera indirectement pour une infirmière française du secteur public, qui travaillera 12 ans de moins et bénéficiera donc de 12 ans de retraite de plus.
 
Dans le monde des affaires, le mécanisme de faillite est un moyen de purger le système économique des entreprises déficitaires (c'est à dire de celles qui détruisent de la richesse et des ressources)
 
Dans le cas de pays, d'un autre côté, on ne peut appeler un pays (dans le sens d'une communauté d'individus) a priori profitable ou déficitaire. Il faut au préalable analyser l'infinie variété des combinaisons possibles entre les deux parts antagonistes de ce pays, c'est-à-dire, d'un côté, les individus constituant la bureaucratie et, de l'autre côté, le secteur privé (les autres citoyens et les entreprises privées. C'est en fonction des choix qui sont opérés entre ces options qu'un pays sera plus ou moins bien géré, et produira plus ou moins de richesses et de bien-être pour ses citoyens. C'est en fonction de l'option choisie que l'Etat lui-même sera durable ou ne sera pas.
 
Le communisme, par exemple, ne pouvait durer. Non pas parce que les pays victimes de l'idéologie socialiste manquaient de ressources ou qu'ils étaient déficitaires. Le socialisme a échoué parce que les individus représentant l'Etat, l'ont transformé en une machine destructrice de richesses, ayant monopolisé toutes les activités économiques, aboli la propriété privée, et supprimé les motivations individuelles, les talents, et la connaissance.
 
Lorsqu'un pays qui connaît de telles inefficacités structurelles, et est dominé par une administration publique démesurée, tente de consolider sa dette sans réduire la tendance naturelle à la spoliation et au gaspillage de l'administration, le nouveau de la dette restructurée devient à nouveau insoutenable, dès le lendemain de sa restructuration.
 
Un exemple intéressant de ces difficultés est donné par la comparaison entre l'éclatement de deux pays, et les manières très différentes dont ces divisions ont été (ou sont encore aujourd'hui) traitées. Le premier exemple est celui de la Tchécoslovaquie, démembrée en 1993, et qui a produit deux pays parfaitement viables, même s'ils ont suivi parfois des politiques divergentes.
 
Le second exemple est celui qu'a fourni au monde la Belgique, où un parti régionaliste, qui a inscrit la partition dans son programme politique, a fait obstacle à la formation d'un gouvernement fédéral, et été la cause du record absolu de vacance de gouvernement dans l'Histoire. Dans le cas belge, une étude effectuée par un groupe de réflexion régionaliste estime que la dette souveraine de la Belgique, étant aujourd'hui de 100% du PIB, évoluerait différemment pour la Nouvelle Flandre et la Nouvelle Wallonie. La première réussirait à faire ramener sa dette sous le plafond de 60% de son PIB en moins de 13 ans après la scission. La Wallonie par contre verrait son propre ratio dette/PIB exploser, pour atteindre, sur la même période, 200%. Il n'est pas nécessaire de souligner que ces projections sont un argument politique dans la séduction des contribuables flamands, dont l'intérêt personnel bien compris prévaut évidemment sur des slogans creux de "solidarité". Transposées au niveau européen, les mêmes motivations pourraient aisément monter en puissance au niveau national, et même sub-national, si les exigences légitimes des contribuables en matière de contrôle des dépenses sont ignorées par les bureaucraties.
 
 
4. De bulle en bulle
 
Certains banquiers centraux, et plus particulièrement Mr Greenspan, lorsqu'il présidait la Réserve Fédérale américaine, ont prétendu que les "bulles" ne peuvent être identifiées. Même si elles pouvaient être reconnues au moment où elles apparaissent, Mr Greenspan affirmait ne pas être certain qu'une banque centrale puisse faire quoi que ce soit pour dégonfler ces bulles, ni même qu'il serait lui-même disposé à intervenir.
 
Ceci ne justifie en rien que les banques centrales restent de simples spectatrices lorsque naissent des phases d'expansion artificielle, initiant ainsi un cycle de croissance artificielle, suivie d'une récession bien réelle. Ceci est particulièrement vrai lorsque les bulles trouvent leur origine dans une politique monétaire laxiste, et que l'expansion dans certains secteurs n'est donc pas compensée par un déclin dans d'autres. Dans l'exemple des bulles immobilières, où ce secteur a connu, dans certains pays, une augmentation annuelle de 10% en volume et une hausse des prix de 10%, alors que le PIB ne croissait que de 2%, il aurait du être évident pour tous, et en particulier pour les banque centrales, qu'une telle situation exigeait une correction immédiate.
 
En Europe, les disparités entre les marchés de l'immobilier étaient manifestes: certains marchés restaient stables alors que d'autres explosaient. La valeur de l'immobilier en Allemagne a suivi en gros l'évolution générale des prix, et sa part dans le PIB est restée constante. A l'opposé, le prix des logements a explosé en Irlande, en France, en Espagne, etc. Selon les chiffres publiés par "The Economist", la valeur "réelle" (c'est-à-dire après ajustement pour l'inflation) de l'immobilier en Allemagne n'a pas augmenté au cours de la période 1997-2010, alors que les prix en France augmentaient de 141%. Le PIB de ces deux pays avait rarement augmenté de plus de 2% au cours de cette même période [16].
 
Mais les bulles immobilières ne sont pas les seules spéculations encouragées par des politiques monétaires laxistes. D'autres graves déséquilibres, puisqu'il sont restés sans autre réponse que la presse à billets, impliquent que toute prétendue réforme ne sera qu'une courte pause sur le chemin de la banqueroute des Etats. Derrière des déficits budgétaires déjà insoutenables se dissimulent d'autres bulles, et notamment des promesses de retraites basées sur la taxation de travailleurs dans le futur, plutôt que sur l'accumulation de ressources par les travailleurs actuels. Dans le cas de la redistribution immédiate des cotisations, l'absence de ressources implique l'absence d'investissements, et donc la pénurie totale d'emplois dans e futur, seuls garants des futures retraites. Dans le second case, par contre, les cotisations réclamées ne sont pas immédiatement consommées, mais investies dans des entreprises productives.
 
Ces promesses intenables faites aux travailleurs d'aujourd'hui sont probablement la pire des bulles auxquelles auront à faire face les gouvernements prodigues. Pour citer une étude de la Banque des Règlements Internationaux, sur l'évolution future des dettes souveraines, "des mesures drastiques sont nécessaires pour maîtriser l'augmentation rapide des obligations des gouvernements, actuelles et futures, et pour réduire leurs conséquences négatives sur la croissance à long terme et la stabilité monétaire [17].
 
L'étude conclut que les ratios actuels "dette/PIB" de 60% ou même de 100% sont effectivement des motifs de préoccupation, mais que les dépenses publiques liées au vieillissement des populations, lorsque ces dépenses ne sont pas provisionnées, fera exploser ces ratios à des niveaux de 200% ou même 300%, si aucune mesure n'est prise. Dans le scénario le plus optimiste, les mesures à prendre pour résoudre la dette souveraine devraient être appliquées chaque année, et ce pendant les trente prochaines années.
 
 
5. Etats endettés et banqueroutes publiques
 
Les procédures qui devraient s'appliquer à la liquidation des dettes des Etats de la zone euro ont parfois été comparées à celles existant aux Etats-Unis [19]. Mais ces procédures ne s'appliquent qu'aux municipalités. Le terme "entités gouvernementales" ne s'applique donc pas aux Etats individuels, que leurs constitutions empêchent de présenter des budgets où les dépenses seraient supérieures aux recettes [20].
 
Mais ceci n'empêche nullement des Etats ou des municipalités de prendre des engagements aujourd'hui, sachant qu'ils seront dans l'incapacité de tenir ces promesses dans le futur. Les difficultés de l'état de Californie, par exemple, sont essentiellement dues à la difficulté de maintenir un budget en équilibre alors que les citoyens ont approuvé dans le passé des "propositions" exigeant à la fois de nouvelles dépenses (écoles, routes, services publics, etc...) et d'autres qui limitent la croissance des revenus fiscaux.
 
La tentation des états a donc été grande d'hypothéquer littéralement l'avenir par "des promesses extravagantes en matière de retraites, de soins de santé, et d'autres avantages pour un nombre toujours croissant de retraités du service public". Le gouffre entre ces avantages et les réserves constituées pour faire face à ces engagements était estimé, déjà en 2010, à mille milliards de dollars [21].
 
Ces avantages ont été pris en tenaille entre les promesses hypothéquant les ressources futures et l'injection massive de monnaie de la Fed, qui a produit un taux d'intérêt réel négatif (inférieur à l'inflation). Ce taux négatif était bien entendu très largement inférieur aux projections optimistes des fonds de pension, basées sur des rendements positifs devenus illusoires. Les retraites et autres avantages ne seront donc payés que si les services publics qui se les sont accordés recourent à la violence et se retournent contre les citoyens qu'ils prétendaient servir...
 
Les auteurs de la constitution américaine étaient parfaitement conscients du danger qu'il pouvait y avoir à autoriser les états individuels à créer des déficits ou à émettre leur propre monnaie. Par l'article premier, section 8, de cette constitution, les états abandonnent ces pouvoirs à l'Etat fédéral. La section 10 de ce même article spécifie qu' "aucun état n'émettra de la monnaie ou n'émettra d'obligations ("bills of credit")".
 
Lorsque cette constitution a été rédigée, elle avait pour objectif de consolider une "confédération" existante (et qui avait démontré ses faiblesses) en une entité "fédérale". Au moment de cette "consolidation", les états avaient des dettes en cours (principalement émises afin de financer la guerre d'indépendance), et ces dettes ont été rachetées ("assumées") par l'Etat fédéral. Rien ne semble empêcher l'Europe d'appliquer le même principe, à condition toutefois que les états individuels, qui devraient l'accepter, s'interdisent également d'emprunter à l'avenir (et que des mesures efficaces en assurent le respect).
 
Malheureusement (ou heureusement?), il n'existe aucune institution supra-nationale qui disposât à la fois de la crédibilité et de la légitimité nécessaires lui permettant d'emprunter au nom des pays membres de la zone euro. Le Fonds de Stabilité et le Mécanisme de Stabilité sont des constructions ad hoc, et des pays comme l'Allemagne n'ont aucun intérêt à mettre leur propre solvabilité en danger dans le simple but de permettre à d'autres pays de poursuivre leurs déficits, ni à financer d'autres services publics que les leurs.
 
Aucune institution n'aura donc la surface financière nécessaire pour refinancer ("assumer") le total des dettes des pays de la zone euro, qui se monte à plus de 8 mille milliard. d'euros. Au-delà de la crédibilité financière continuera à se poser la question de la légitimité. Les pays membres de la zone euro ne constituent qu'une partie seulement du Parlement Européen, lui-même disposant d'une légitimité démocratique bien inférieure à celle du Congrès des Etats-Unis.
 
 
CONCLUSIONS
 
Les accords de Bâle et les dettes souveraines
 
La raison principale des soucis des gouvernements de l'Europe du Nord, de leurs interventions sur les marchés, puis de la création de "Fonds" et de "Mécanismes" de Stabilité lorsque plus personne ne put nier que le niveau de la dette publique grecque était devenue ingérable, fut la crainte d'une contagion affectant l'ensemble du système bancaire dans la zone euro. Les banques françaises et allemandes, par exemple, détenaient une part importante des obligations grecques.
 
Lorsque les banques centrales maintiennent des taux d'intérêt négatifs (compte tenu de l'inflation), les banques sont forcées de rechercher d'autres modes de rémunération de leurs avoirs. Dans un système financier inondé de liquidités par les injections monétaires massives des banques centrales, les banques "nordistes" étaient naturellement tentées par les obligations émises par les pays "périphériques", d'autant que ces dettes, émises par un emprunteur souverain de l'OCDE, étaient mises sur un pied de stricte égalité avec celles de leur propre Etat, malgré un risque (donc un rendement) théorique bien supérieur. De plus, ces obligations leur servaient de collatéral auprès de la banque centrale pour obtenir encore plus de liquidités.
 
Il n'est pas inutile de rappeler l'histoire du traitement prudentiel des dettes souveraines. La tentative de standardiser et uniformiser le traitement du risque par les institutions chargées de la supervision des banques a connu diverses phases successives, sous la houlette du "Comité de Bâle pour la Supervision Bancaire". En fait, ce Comité, hébergé par la Banque des Règlements Internationaux (BRI), communément appelée la "banque centrale des banques centrales", n'était qu'un arrangement informel, dans lequel les banques commerciales elles-mêmes disposaient d'une influence suffisante pour s'assurer que les mesures proposées n'affecteraient ni leur rentabilité, ni leur croissance, ni, bien entendu, le développement de nouveaux instruments - et donc de nouveaux risques - financiers.
 
Dans l'accord initial, "Bâle 1", appliqué de 1988 à 2008, les banques s'engageaient à ajuster le niveau de leurs fonds propres au montant de leurs actifs dits "à risque". Les obligations émises par des pays membres de l'OCDE (dont sont membres également le Portugal, l'Italie, la Grèce et l'Espagne [22] se voyaient attribuer une exigence de fonds propres de ... 0%. En d'autres mots, souscrire des milliards de dettes souveraines grecques (finançant un déficit budgétaire, donc la consommation publique) n'exigeait des banques aucune augmentation de leurs fonds propres, le risque étant considéré comme "inexistant". A l'inverse, des banques allemandes prêtant à leurs propres entreprises pour des investissements productifs devaient accroître leurs fonds propres de 8% des "risques"...
 
Le système avait trois défauts fondamentaux: il a encouragé les banques à stériliser (et même à détruire de l'épargne) dans les dettes et la consommation publique, tout en privant les entreprises de moyens indispensables à leur croissance; il a augmenté artificiellement le poids des pays OCDE les plus "risqués" dans les portefeuilles des banques (taux plus élevés pour un risque soi-disant identique); et il a permis aux pays structurellement déficitaires de reporter, ou d'éviter, les réformes, puisqu'ils pouvaient détourner l'épargne des autres pays.
 
La seconde version de "Bâle" (Bâle 2), dont l'entrée en vigueur coïncida avec le déclenchement de la crise (2008), avait été âprement négociée avec les banques pendant une longue période. Il était cependant évident, dès le début des tractations, que la règle qui imposait un traitement identique pour des risques très divers, devait être modifiée. Dès le départ, il était admis que la pondération du risque dépendra d' "appréciations externes" [23]
 
La cause majeure du déclenchement et de l'aggravation de la crise a certainement été le traitement bien trop tolérant des actifs bancaires, et en particulier des dettes souveraines, dans les accords de Bâle 1 et 2. La seconde raison a été la capacité des banques de peser sur le débats, et de présenter le capital comme étant le principal - et même le seul - contrepoids de tous les types de risques sur leurs actifs, qu'ils soient sur des emprunteurs souverains ou sur des entreprises, qu'ils soient nationaux ou étrangers, qu'ils portent sur la solvabilité ou sur la liquidité.
 
L'accord de Bâle 3, toujours en cours de négociation, est plus diversifié et plus complexe, mais accorde encore aux banques une très grande liberté dans l'estimation de leurs actifs, minimise les questions de liquidité, continue à accorder un traitement préférentiel aux dettes souveraines, et ne tient aucun compte de l'assurance des dépôts. Mais il est vrai que le rôle de cet Accord, même s'il est permis de le regretter, n'est pas de déterminer des règles détaillées pour les autorités en charge de la supervision.
 
 
La zone euro deviendra-t-elle un club de souverains mendiants?
 
Le Traité de Maastricht a imposé des règles limitant les déficits publics dans le but de restreindre l'accès de Etats aux marchés financiers, et donc de maintenir la possibilité pour des entreprises productives d'accéder à ces marchés. Un certain nombre d'Etats membres ont accepté (ou fait semblant d'accepter) ces restrictions dans la période qui a précédé l'introduction de l'euro, afin d'avoir accès aux avantages d'une monnaie commune.
 
Ainsi que le constatait l'Institut Monétaire Européen (IME), précurseur de la BCE, dans son premier Rapport Annuel:
 
"Aujourd'hui [1995], la plupart des pays de l'Union Européenne ne rempliraient pas les conditions requises pour faire partie de l'Union Monétaire; dans la majorité des cas, la raison en serait leurs situations budgétaires" [24]
 
Adhérer à un club exige de satisfaire à certains critères avant d'être admis. Une fois devenu membre, d'autres règles s'appliquent. Enfreindre ces règles entraîne habituellement l'exclusion du membre. Toutefois, si les délinquants deviennent la majorité, ce sont les membres respectueux des règles qui cesseront de soutenir le club et qui finiront par le quitter, éventuellement dans le but de créer une nouvelle association plus conforme à leurs intentions.
 
Ce ne serait pas irréaliste de comparer la zone euro à un club, et de poser les mêmes questions que celles que soulèverait n'importe quelle association lorsque l'un de ses membres enfreint les règles communes.
 
Le "Pacte de Stabilité et de Croissance" (PSC), dans ses trois versions successives, avait été imposé par le sponsor du club, l'Allemagne, qui continue aujourd'hui à s'interroger sur la légitimité démocratique d'une union monétaire qui impose aux contribuables, aux entreprises et aux épargnant allemands le coût des politiques prodigues des pays structurellement déficitaires. Les situations fiscales déséquilibrées, fustigées par l'IME, ne se sont pas améliorées depuis le diagnostic de l'IME il y a 17 ans.
 
Ignorer les faits, permettre aux Etats "cigales" de vivre aux dépens des Etats "fourmis" économes, détruire l'épargne pour financer des administrations inefficaces, corrompues ou superfétatoires est le plus sûr chemin vers la ruine de tous. La création de "machins" comme le "Fonds" ou le "Mécanisme" de Stabilité, prolonge ce chemin, accélère la vitesse, mais ne change en rien la progression vers une catastrophe commune.
 
 
Les vues d'un initié de la première heure
 
Parmi les opinions exprimées au cours de la période de construction de l'euro, l'une des plus importantes et des mieux informées a, sans conteste, été celle du responsable, au sein de la Commission Européenne, pour l'analyse du système monétaire européen et des politiques économiques nationales et communautaires, et ceci au moment précis où l'introduction d'une monnaie commune était envisagée. Mr Connolly a écrit un essai très critique sur les motivations et les compromis dans les coulisses de ces débats. Son livre a été la cause de son éviction, un peu comme si le capitaine du Titanic avait viré celui qui aurait signalé - à temps - la possibilité d'un naufrage.
 
"La monnaie unique européenne sera certainement plus faible que le Deutsche Mark [...]. Cela restera vrai même si, comme il semble presque certain, l'Espagne, le Portugal, la Grèce, l'Italie et probablement l'Irlande, en restent exclus". [25]
 
Il est intéressant de constater que celui qui lance cet avertissement (en 1995!) n'envisage même pas que les pays qui menacent aujourd'hui la survie de l'économie européenne aient pu même faire partie de la zone euro. Regroupés dans un acronyme aux consonances peu flatteuses, formé avec les initiales de leurs noms anglais ("PIGS"), ces pays ont, depuis douze ans, déstabilisé la monnaie européenne et les marchés financiers du monde entier. Pire: par la pérennisation du financement de ces Etats à des taux d'intérêts qui ne reflètent ni le risque plus élevé, ni l'inflation qu'ils provoquent, ni leur incapacité de générer de la croissance, les "PIGS" siphonnent l'épargne dans les pays qui respectent les règles pour la détruire en finançant des déficits publics perpétuels. Détourner l'épargne des entreprises productives pour la gaspiller en dépenses publiques improductives a déjà coûté un montant estimé à 20% du PIB total de la zone euro.
 
Même le "Système Européen de Banques Centrales" ("SEBC") et la Banque Centrale Européenne, créés par le Traité de Maastricht en tant que gardiens de principes et de pratiques rigoureuses, ont dévié de la ligne qui leur avait été fixés pour adopter une politique laxiste, en ignorant les règles. Il est vrai qu'une politique monétaire ne peut pas créer une convergence, mais que c'est au contraire la politique monétaire qui doit s'adapter à la diversité des économies. Par exemple, les taux d'intérêt dans une économie irlandaise en ébullition, ou dans une économie grecque en déficit structurel grave et permanent, auraient dus être bien plus élevés que dans des pays en phase récession ou de croissance modérée, ou de surplus budgétaire. Différencier les taux était possible: c'est le cas dans un même pays, pour des emprunteurs différents. Malheureusement la BCE a choisi la solution de facilité, avec pour conséquence que les déséquilibres se sont retrouvés dans le système des paiements (TARGET) où les banques centrales des pays déficitaires n'apurent plus leurs comptes alors que des montants considérables sont transférés des "PIGS" vers les pays du nord.
 
Lors de la création de la BCE, on a glosé sur l'insistance de l'Allemagne pour que la nouvelle banque soit calquée sur le modèle de rigueur de la Deutsche Bundesbank. Mais, comme l'écrivait Mr Connolly en 1995:
 
"On peut faire que la BCE ressemble à la Bundesbank, mais on ne peut pas, même si on le voulait, faire que l'Europe ressemble à l'Allemagne."
 
Malgré les sérieuses fragilités, et les difficultés additionelles que créait l'admission de pays qui n'étaient pas inclus dans le plan initial, l'euro, une fois inventé, devait être imposé comme prévu. Les opinions contraires ne pouvaient être tolérées, comme le soulignait notre "initié" dans son paragraphe de conclusion:
 
"Comme pour toutes les questions concernant l'union monétaire, le rouleau compresseur de la propagande essaie d'éliminer l'analyse. Car l'analyse ne peut que signifier le désaccord. Et le désaccord ne peut être toléré"
 
Il est regrettable que ce soit l'auteur de cet avertissement qui ait été licencié, et non ceux qui ont utilisé la propagande pour imposer l'euro et ruiner l'Europe.
 
 
Une conclusion inspirée de Hayek
 
Pour Hayek, permettre aux citoyens et aux entreprises de commercer, de conclure des contrats ou d'ouvrir des comptes dans la monnaie d'autres pays de leur choix serait:
 
"à la fois préférable et plus pratique que le schéma utopique consistant à introduire une nouvelle monnaie européenne, qui n'aurait finalement pour résultat que d'enraciner plus profondément encore la source et la cause de tout le mal, à savoir le monopole gouvernemental de l'émission et du contrôle de la monnaie" [26]
 
Laisser aux individus et aux entreprises la liberté de choisir la monnaie qu'ils souhaitent utiliser pour leurs contrats, leurs échanges, leurs investissements, leur épargne, est donc de loin préférable à la restriction du choix à une seule monnaie commune, et ce parce que:
 
"A bien des égards, une monnaie internationale unique n'est pas meilleure, mais pire, qu'une monnaie nationale si elle n'est pas mieux gérée."
 
Quant au FESF, et au projet de le pérenniser par un "Mécanisme Européen de Stabilité", il ne s'agit de rien d'autre que d'installer des pompes permettant de siphonner de façon continue et permanente les ressources des pays "fourmis" afin de perpétuer le gaspillage et le laxisme budgétaire dans les pays "cigales". Hayek, u contraire, estimait que:
 
"l'avantage d'une autorité internationale devrait être principalement de protéger un pays membre des mesures nuisibles des autres, et non pas de le forcer à les rejoindre dans leurs folies" [27]
 
Hayek aurait donc recommandé aux citoyens et aux entreprises des pays prodigues d'utiliser le Deutsche Mark pour commercer et épargner, au lieu de contraindre les allemands à abandonner le Mark pour l'euro. L'euro ayant été imposé, avec les résultats que chacun peut aujourd'hui constater, les options pour sortir de l'impasse sont limitées. Celle qui a été choisie par la BCE est la pire de toutes. Aucune émission de monnaie n'a jamais créé de croissance. Les largesses faites aux banques n'ont rien solutionné. L'épargne, donc l'investissement, est massacrée. Les déficits structurels deviennent permanents. L'innovation ne peut se développer. Le coût du capital est nul pour les paniers percés, alors que les projets productifs ne trouvent plus de financement. Essentiellement, l'économie est gelée et la BCE continue à baisser la température. Le système bancaire ne joue plus son rôle, parce qu'il n'a jamais été purgé. Le taux d'intérêt ne joue plus son rôle parce qu'il n'a plus aucune signification.
 
Une première option théorique, mais à l'évidence impraticable, serait une sortie des "PIGS" de la zone euro. Dans cette option, les pays qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas, équilibrer leurs budgets courants (hors charge de la dette), sortent de l'euro, rétablissent leur monnaie au cours d'entrée, puis dévaluent [28]. Rien n'empêcherait ces pays de rejoindre ensuite l'euro, avec une autre parité. Mais bien entendu, cette éventualité est d'autant plus irréaliste que les pays concernés ne modifieraient en rien leurs pratiques, et que l'exercice devrait donc être répété régulièrement.
 
Pour rester réaliste, la meilleure option pour permettre la survie de l'euro serait non pas de contraindre les pays les plus faibles (économiquement) de quitter la monnaie commune, mais aux pays les plus forts de rétablir le Deutsche Mark. L'euro ne serait plus alors que la monnaie des "PIGS", qui redeviendraient libres de poursuivre leur politiques économiques, faites de déficits, d'inflation, de dettes et de dévaluations.
 
Le vieillissement de la population, qui révèle les systèmes de retraites par répartition pour ce qu'ils sont, à savoir des escroqueries pyramidales, a poussé certains pays à constituer des réserves pour faire face à ces obligations. Ces réserves atteignent aux Pays-Bas un montant supérieur au PIB; En France, elles ne dépassent pas quelque pourcents du PIB. Or ces engagements sont réels, et s'ils étaient pris en compte dans le calcul de la dette, celle-ci viendrait à atteindre 300% du PIB dans certains pays. De telles différences sont le véritable obstacle au maintien d'une monnaie commune.
 
Utiliser les artifices du FESF ou du MES dans le seul but de permettre à certains pays (c'est-à-dire à certains gouvernements) de poursuivre leurs politiques dispendieuses (essentiellement dans le but d'acheter des votes et donc de se maintenir au pouvoir) ou, pour la BCE, de tenter d'aplanir des cycles économiques qu'elle a elle-même provoqués et entretenus, ne peuvent être les solutions. Il faut au contraire purger le système bancaire, permettre au marché de retrouver l'équilibre entre épargne et investissement, et donc rétablir un coût réaliste du capital, et enfin réduire drastiquement la dimension des Etats inefficaces et prodigues. Faute de traiter chaque patient individuellement, il faudra nécessairement appliquer plus tard des remèdes plus drastiques encore et cette fois dans la panique que provoque une contagion.
 
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NOTES
 
[1] Les signataires du Traité de Maastricht déclaraient spécifiquement dans leur exposé des motifs que la création d'une "monnaie unique et stable" devait tout à la fois "renforcer leurs économies" et "en assurer la convergence".
 
[2] Le "Traité sur l'Union Européenne" (dit "Traité de Maastricht") stipule:
1. dans son Article 104(c): "La Commission surveille l'évolution de la situation budgétaire et du montant de la dette publique dans les Etats membres en vue de déceler les erreurs manifestes. Elle examine notamment si la discipline budgétaire a été respectée, et ce sur base des deux critères ci-après:
(a) [...]
(b) si le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut dépasse une valeur de référence, à moins que ce rapport ne diminue suffisamment et s'approche de la valeur de référence à un rythme satisfaisant.
Le "Protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs" (Article 1) stipule que la valeur de référence pour le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut aux prix du marché est 60%.
 
[3] La Belgique a aujourd'hui, et depuis longtemps, le taux de spoliation le plus élevé pour un travailleur célibataire qui oserait mériter un peu plus (2/3) que le salaire moyen ou au-delà. La France est seconde dans ce "palmarès", mais l'élection en mai 2012 d'un président fervent dévot de la spoliation fiscale pourrait, pour une fois, placer la France en tête d'un classement. Les données sont régulièrement mises à jour et publiées par l'OCDE (http://www.oecd.org).
 
[4] Le premier paragraphe du Protocole déjà cité (voir note [2]), la "valeur de référence" "pour le rapport entre le déficit public prévu ou effectif et le produit intérieur brut aux prix du marché" est 3%.
 
[5] Personne ne sait avec certitude quel est le point de départ, la durée, et l'amplitude d'un cycle économique, comme le démontre d'ailleurs la crise actuelle (2008- ?)
 
[6] Le Protocole initial n'a même pas pu décider si la limite s'appliquerait au déficit prévu ou au déficit effectif. Comme l'on peut s'y attendre, ceci laisse une marge considérable aux interprétations et aux marchandages. Voir le "Protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs", dans le "Traité sur l'Union Européenne", Journal Officiel des Communautés européennes, 29 juillet 1992, N° C 191/84. Il n'est nul besoin de préciser quelle est l'interprétation des pays enamourés des déficits.
 
[7] Des propositions plus détaillées étaient reprises dans une étude de l'Institut Bruegel, sous le titre "A European mechanism for sovereign debt crisis resolution", par François Gianviti, Anne Krueger, Jean Pisani-Ferry, André Sapir et Jürgen von Hagen. Novembre 2010, www.bruegel.org
 
[8] Le magazine "The Economist" titrait un rapport sur le "collapse de l'Argentine" par un terme éloquent "A déclin sans équivalent" (2 mars 2002)
 
[9] Cette expression "au-dessus des Etats souverains" est d'ailleurs une contradiction dans les termes, puisque la souveraineté est précisément le niveau du dernier recours.
 
[10]      Parmi la multitude d'exemples grecs, citons: une taxe sur les piscines qui n'est payée que par 2% des propriétaires concernés; l'octroi d'une prime de "ponctualité" aux fonctionnaires qui commenceraient à travailler à l'heure convenue; l'attribution d'une pension aux femmes dont le père décède avant leur 27ème anniversaire, etc.
 
[11]      Cette situation est comparable à celle d'un juge d'assises qui baserait son jugement sur les seules déclarations de l'accusé et sur l'examen, par celui-ci, de la scène de crime...
 
[12]      Dans un cas célèbre, la Commission avait obtenu la condamnation d'un géant des logiciels pour des pratiques monopolistiques. Une pénalité substantielle avait été obtenue, mais n'a pas servi à indemniser les victimes, pourtant reconnues comme telles. Les citoyens sont donc doublement victimes.
 
[13]      Avant cette mesure, passée quasi-inaperçue lorsqu'elle a été proclamée (bien sûr par les Etats membres eux-mêmes, c'est à dire les premiers intéressés à avoir accès à un réservoir d'épargne quasi-illimité), seules les obligations émises par son propre Etat dispensaient une banque de l'obligation de fonds propres (8% du montant du crédit). Après cette mesure, l'achat d'une obligation de l'Etat grec par une banque allemande ne requiert pas plus de fonds propres - et n'implique pas plus de risque - que l'achat du Bund de son propre Etat.
 
[14]      Un malheureux raccourci de langage dans les médias parle généralement de "faillite" d'une banque. En fait, une institution qui souhaite faire appel à l'épargne publique (une "banque") obtient une licence, moyennant le respect de conditions bien définies. Si ces conditions ne sont plus remplies, l'autorité de supervision (qui a accordé la licence) a le droit, et même l'obligation, de retirer cette licence. Tous les pouvoirs sont retirés aux instances dirigeantes (actionnaires, administrateurs, etc..) et sont assumés par une administration provisoire, nommée par le superviseur.  L'épargne n'est donc pas nécessairement affectée, mais il est impératif de retirer la banque du marché financier, pour éviter toute contagion. L'une des premières décisions des autorités de supervision en Serbie, après la chute du régime Milosevic a été de fermer les banques d'Etat qui ne respectaient plus les conditions de leur licence. La Banque Centrale a considéré - avec raison - que le bien-être de 9.000 employés d'Etat était moins important que la survie de toute l'économie. Une majorité de ces ex-fonctionnaires a retrouvé un emploi dans des banques privées nouvellement créées.
 
[15] "Manifest voor een Zelfstandig Vlaanderen in Europa", ("Manifeste pour des Flandres indépendantes en Europe"), Groupe de réflexion "In de Warande", 2005, page 156.
 
[16] "Global House Prices", The Economist, 23 October 2010.
 
[17] Il est amusant de constater que, dans le pays le plus prodigue en la matière, les écoliers français apprennent encore par cœur la fable la plus connue de Jean de La Fontaine, "La Cigale et la Fourmi". Dans cette comptine, la cigale prend du bon temps pendant que la fourmi économise pour les mauvais jours. Arrivent les mauvais jours, la cigale implore la fourmi pour obtenir un prêt. serait-ce une allégorie pour le "Fonds Européen de Solidarité"?
 
[18] Stephen Cecchetti, M.S. Mohanty and Fabrizio Zampolli, "The future of public debt: prospects and implications", Banque des Règlements Internationaux, Working Paper 300, March 2010. Disponible sur http://www.bis.org/publ/work300.htm
 
[19] voir notamment: http://www.bruegel.org/publications/publication-detail/publication/446-a-european-mechanism-for-sovereign-debt-crisis-resolution-a-proposal/
 
[20] Aux Etats-Unis, les Etats individuels ne peuvent avoir de déficits budgétaires (avec la seule exception du Vermont).
 
[21] La citation et l'estimation sont tirées d'un article intitulé "State-level pensions", publié par "The Economist" en date du 23 février 2010.
 
[22] Les initiales du nom anglais de ces quatre pays ont formé l'acronyme "PIGS" (cochons).
 
[23] "Dans le cadre de l’approche standardisée du risque de crédit, les expositions vis-à-vis des divers types de contreparties, telles qu’emprunteurs souverains, banques et entreprises, seront affectées de pondérations fondées sur les appréciations d’organismes externes d’évaluation du crédit" dans "Vue d'ensemble du Nouvel accord de Bâle sur les fonds propres", Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, Banque des Règlements Internationaux, Janvier 2001, page 2.
 
[24] Institut Monétaire Européen, Premier Rapport Annuel (1994), Avril 1995, page 5 (traduction de l'auteur).
 
[25] Bernard Connolly, "The Rotten Heart of Europe - The Dirty War for Europe's Money", Faber and Faber, London, 1995, réédité en 1996, page 395-400
 
[26] F.A. Hayek, "Denationalisation of Money - The Argument Refined", 1976, réédité en 1990 par l' "Institute of Economic Affairs", Londres, page 23-24
 
[27] Cette citation devrait être gravée sur la façade du FESF et de son successeur, le MES...
 
[28] La France ne ferait pas exception: pour rétablir l'équilibre de sa balance des paiements, une dévaluation de 20% à 25% serait nécessaire. Avant l'introduction de l'euro, la parité FRF-DEM était modifiée de 2% annuellement en moyenne, soit par une dévaluation du franc, soit par une réévaluation du mark, soit par une combinaison des deux. Pour la seule période 2001-2010, ceci correspondrait à une dévaluation de 20%, qui serait probablement le taux qui rendrait les exportations françaises compétitives à nouveau - pour un temps...